4-7 juil. 2016 Mons (Belgique)
ENQUETER AUPRES DE PERSONNES «VULNERABLES» - QUELLES IMPLICATIONS ? EXPERIENCE CROISEE DE DEUX CHERCHEURES
Nacira Aït Abdesselam  1@  , Katell Bellegarde  2, *@  
1 : CIREL-Trigone
Université de Lille
rue élise Reclus Villeneuve d'Ascq -  France
2 : CIREL-Trigone
Université de Lille
* : Auteur correspondant

Cette contribution, à deux voix, a pour ambition de revenir sur la genèse de nos questionnements de chercheures. Depuis 2012, nous partageons une réflexion collective au sein du pôle Formation Insertion Langues et Sciences (FILS) de l'équipe CIREL-Trigone spécialisée en formation des adultes. Notre intérêt porte sur les processus de formation et d'acquisition de compétences de base des adultes. La proximité de nos objets de recherche, les rapports à l'écrit et au savoir ‘'lire-écrire'' des adultes, nous a conduites à partager les mêmes préoccupations méthodologiques, épistémologiques et axiologiques.

Nos recherches s'inscrivent dans une démarche qualitative qui s'enracine dans le courant épistémologique de l'approche compréhensive. Cette démarche se singularise par la distinction radicale entre phénomènes humains et sociaux versus phénomènes naturels dans la mesure où les premiers sont porteurs de significations véhiculées par les acteurs (Dumez, 2012). D'après le principe d'inter-compréhension, elle admet que tout homme peut saisir le vécu, l'expérience d'un autre et ainsi avoir accès au sens qu'il donne à la réalité étudiée (Paillé, Mucchielli, 2003).

ORIGINE DE NOS QUESTIONNEMENTS

L'idée de cette communication, à visée réflexive, est née de nos expériences personnelles de chercheures et de la rencontre d'hommes et de femmes en formation linguistique de base inscrits dans un parcours d'insertion sociale et professionnelle[1] et dont on dit qu'ils sont ‘'vulnérables'', ‘'exclus'', ‘'inemployables'' autant de désignations ordinaires dont se nourrit une approche privative de la sociologie (Frétigné, 2011). Durant ces rencontres, les personnes sollicitées nous ont livré leur parole, ont témoigné de leurs préoccupations et angoisses liées à leurs conditions souvent précaires. Ces situations les ont conduites à faire part d'évènements douloureux et parfois volontairement tus. L'intrusion dans le monde de l'autre peut être alors considérée comme un quasi-procès, un quasi-examen pour la personne, qui plus est, quand elle se trouve dans l'impossibilité de manifester une image de soi positive, de garder la face (Mauger, 1991). Ces situations d'enquêtes ont suscité, chez les chercheures que nous sommes, une forme de gêne, voire de culpabilité. Nous avons eu le sentiment de n'avoir assigné à ces personnes qu'un statut de sources de données à exploiter voire, comme le dit Jean-Louis Legrand, d'effectuer "un travail de charognards, comme les vautours qui se précipitent sur les proies à peine mortes, pas encore refroidies, pour s'en nourrir" (Legrand in Feldman et al, 2000, p. 227). N'y a-t-il pas là une forme de voyeurisme ? Quel sens attribuer à cette relation sociale ? A-t-elle été vaine, inutile ?

VOLONTE DE COMPRENDRE

Nous proposons d'explorer les questions méthodologiques, épistémologiques et éthiques liées à la relation d'enquête auprès de ces populations. Selon nous, les conventions de l'écriture scientifique ont tendance à gommer la mention des difficultés de l'enquête. Nous envisageons de les décrire sans considérer l'expérience de terrain comme une expérience individuelle, "incommunicable parce que singulière", comme le lieu de "pratiques obscures [...] qui tiendraient à la fois de l'aventure et du bricolage et sur lesquelles il serait de bon ton d'observer la plus extrême discrétion" (Digard, cité par Mauger, 1991).

Notre proposition se décomposera en plusieurs axes de réflexion :

- Enquêter auprès des plus faibles nécessite-t-il de recourir à des approches méthodologiques spécifiques ? Comment ajuster sa posture entre proximité et distance ?

- Quelle est la place de la subjectivité et des émotions du chercheur ? Comment les gère-t-il ? Quelles en sont les incidences sur l'interprétation des données et sur les connaissances produites ?

- La position affaiblie du témoin ne le contraint-elle pas à accepter la situation d'enquête pour satisfaire et ne pas contrarier les représentants de son institution ? Dans ce cas, quel statut et quelle(s) valeur(s) attribuer à ces données recueillies dans un cadre injonctif ?

- Quelles sont les incidences des injonctions institutionnelles, des attentes des financeurs sur le recueil de données, sur l'objet de recherche? Comment passe-t-on des interrogations des financeurs à la formalisation d'un objet de recherche problématisé ?

Ces questions révèlent, selon nous, la perception qu'à chacun de ce qu'est faire de la recherche, la façon dont chacun conçoit qu'il faille procéder pour acquérir des connaissances valables sur les phénomènes (Giroux et Tremblay, 2009, p.7).


[1] ateliers et chantiers d'insertion (ACI), organismes de formation, missions locales, école de la deuxième chance (E2C) dans le Nord-Pas de Calais



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