Résumé :
La formation par le travail pose le stagiaire comme un acteur de son propre apprentissage, aux côtés d'un professionnel qualifié qui endosse le rôle du tuteur et qui se trouve plus ou moins en retrait en fonction des besoins émergents au fil du stage. Dans ce sens et depuis la perspective du binôme stagiaire/tuteur, la formation constitue l'espace d'une double transformation. D'une part, un espace de transformation de l'expertise du stagiaire, évoluant d'une pratique dirigée par le tuteur à une pratique réflexive, plus autonome, pouvant être affirmée, reconnue et évaluée au sein de la communauté des professionnels de l'enfance. D'autre part, un espace de validation et/ou de transformation des méthodes de travail du professionnel référent, lui permettant de s'adapter en permanence sur la base des événements qui surviennent dans l'action (Kunégel, 2011).
Cette transformation se déploie selon des modalités particulières, éminemment indexées aux événements qui émergent, démultipliant par exemple les formats d'échanges entre les participants de la situation et reconfigurant en permanence l'organisation de l'activité en cours. Notre étude s'inscrit dans la suite des travaux qui mettent l'accent sur l'importance de l'analyse des interactions pour une meilleure compréhension de la production interactionnelle du travail (Filliettaz, 2014) et où les interactions sont appréhendées dans leur réalisation multimodale : le langage étant considéré comme une ressource pouvant être mobilisée au même titre que d'autres (gestes, regards, déplacements, artefacts, etc.) pour l'accomplissement d'une activité (Rossi, 2014)
Pour documenter les pratiques situées des participants et la manière dont ils mobilisent des ressources interactionnelles nous avons réalisé 12 heures d'enregistrements vidéo de séances d'accompagnement tutoral en crèche. Les films ont été transcrits de manière à rendre visibles pour l'analyse des détails qui « échappent » à l'observation directe. Les différentes séquences que nous analysons illustrent le caractère fondamentalement collaboratif des activités menées en crèche dans le cadre d'un accompagnement tutoral. Le travail qu'opèrent les tuteurs quand ils ont à former et travailler dans le même temps, donne à voir des formes et des formats variés de participation (Goodwin & Goodwin, 2004). Nous décrivons comment les participants utilisent des ressources multiples pour co-construire leurs actions en les adaptant aux contingences de l'interaction. Les transformations des cadres participatifs qui s'effectuent au fil de l'interaction permettent ainsi de mettre en lumière des attentes spécifiques concernant des "règles" tacites de participation dans l'activité. Elles permettent aussi d'observer des mécanismes de légitimation sous-jacents au déroulement de l'activité et illustrent comment les tuteurs et les stagiaires concilient les enjeux à la fois éducatifs et de formation professionnelle qui se trouvent combinés dans les situations de travail.
Références bibliographiques
Filliettaz, L. (2014). L'interaction langagière : un objet et une méthode d'analyse en formation d'adultes. In J. Friedrich & J. Pita (Eds.), Recherches en formation des adultes : un dialogue entre concepts et réalité (pp. 127-162). Dijon : Editions Raisons et Passions
Goodwin, C. & Goodwin, M. H. (2004). Participation. In A. Duranti (Ed.), A Companion to Linguistic Anthropology (pp. 222-244). Oxford : Basil Blackwell.
Kunégel, P. (2011). Les maîtres d'apprentissage. Analyse des pratiques tutorales en situation de travail. Paris : L'Harmattan.
Rossi, G. (2014), "When to people not use language to make requests?", In Requesting in Social Interaction (Paul Drew, Elizabeth Couper-Kuhlen, eds.), John Benjamins Publishing Company, no. 26, pp. 303-334.
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