Résumé
Dans un contexte de tension entre d'une part, un mouvement de mondialisation et de centralisation et les craintes d'homogénéisation et de normalisation leur étant associées et d'autre part, les crispations des identités nationales, voire régionales (Vatz Laaroussi et Gélinas, 2013, p. 4), l'interculturalité apparait comme une des réponses que les acteurs sociaux construisent face aux mutations sociales qu'ils vivent et à la complexité qu'ils rencontrent. Si la question de l'interculturalité fait aujourd'hui beaucoup parler d'elle et que l'école est souvent mandatée pour la traiter en son sein, que ce soit en l'intégrant directement dans les contenus de l'enseignement ou dans la gestion du vivre ensemble dans l'établissement scolaire (e.g. Décret Missions, 1997 ; Commission du Dialogue Interculturel, 2005 ; Décret Education à la Citoyenneté, 2007 ; Assises de l'interculturalité, 2010), elle nourrit une richesse sémantique qui s'incarne par des usages variés, voire antagonistes selon les acteurs qui s'en emparent (acteurs éducatifs ou chercheurs), produisant ainsi un flou fonctionnel. Nous relevons que les recommandations et les prescrits légaux associent à la notion d'interculturalité d'autres notions telles que démocratie, citoyenneté, diversité culturelle, dialogue ou encore ouverture. Ces notions s'inscrivent le plus souvent dans le registre idéologique et traduisent des intentions de transformation de l'environnement. Mais au-delà de ces prescrits, comment les personnes vivent-elles au quotidien la question de l'interculturalité ? Quelles réalités sont concernées et qu'est-ce qui se joue pour elles ? Pour comprendre les enjeux qui meuvent les acteurs scolaires (directions, enseignants, éducateurs et élèves), un groupe de recherche interdisciplinaire (philosophie, sciences de l'éducation et sociologie), subdivisé en deux équipes s'est penchée sur les représentations des acteurs scolaires en s'intéressant à leur activité. En effet, il s'agit de comprendre, et cela au-delà de discours marqués par des effets de désirabilité sociale, ce que la notion d'interculturalité convoque comme situations vécues. Pour y parvenir, le recueil a été construit dans des méthodologies qui s'inspirent directement de la Méthode d'Analyse en Groupe (Van Campenhoudt et al., 2005) et d'ARPPEGE (méthodologie d'analyse des pratiques professionnelles développée par Vacher, 2015). Les matériaux recueillis sous forme d'enregistrement audio des séquences ont été retranscrits pour être analysés par catégorisation conceptualisante et par analyse thématique.
Après avoir présenté la question de recherche et les méthodologiques mobilisées, nous présenterons les produits de cette recherche qui se déclinent en 1) catégories descriptives des critères qui constituent la différence dans le chef des sujets (sept établissements d'enseignement secondaire) ayant participé au recueil, 2) des catégories compréhensives d'une déclinaison de la différence qui s'émancipe des catégories descriptives pour se complexifier, 3) des constats sociologiques et des hypothèses explicatives des rapports des sujets à l'interculturel, 4) des démarches et des outils d'action (inspirées de la démarche et de l'éducation interculturelles (Cohen-Emerique, 1993, 2015 ; Abdallah-Pretceille, 2011, 2013), pour poursuivre le travail avec les établissements scolaires intéressés par la problématique.
Regard réflexif sur la question de recherche
L'exercice réflexif permettra à l'équipe de chercheuses d'interroger :
- l'évolution et le déplacement de la question de recherche en fonction de la nature des matériaux recueillis, différents de ceux attendus ;
- l'articulation de produits de la recherche inscrits dans des paradigmes différents, portés par deux équipes de recherche ;
- des enjeux idéologiques portés par un tel objet de recherche et la manière dont les chercheuses les ont articulés 1) aux enjeux des acteurs scolaires et 2) à la démarche de création de savoir ;
le traitement des données pour une communication des résultats au commanditaire, poursuivant des enjeux de transformation des pratiques.
Bibliographie
Abdallah-Pretceille, M. (2011), « La pédagogie interculturelle : entre multiculturalisme et universalisme », Lingarum Arena, vol. 2, p. 91-101.
Abdallah-Pretceille, M. (2013), (4e éd.), L'éducation interculturelle, Paris, Que sais-je, PUF.
Cohen-Emerique, M. (1993), « L'approche interculturelle dans la formation des professionnels du champ socio-éducatif », in Collot A., Didier G. & Loueslati B. (dir.), La pluralité culturelle dans les systèmes éducatifs européens, Nancy, Publication du Centre Régional de Documentation Pédagogique de Lorraine, p. 209-220.
Cohen-Emerique, M. (2015), (2e éd.), Pour une approche interculturelle en travail social, Politiques et interventions sociales, Presses de l'EHESP.
Décret Education à la Citoyenneté (2007), « Décret relatif au renforcement de l'éducation à la citoyenneté responsable et active au sein des établissements organisés ou subventionnés par la Communauté française », Fédération Wallonie-Bruxelles.
Décret Missions (1997), « Décret définissant les missions prioritaires de l'enseignement fondamental et de l'enseignement secondaire et organisant les structures propres à les atteindre. », Fédération Wallonie-Bruxelles.
Rapport final de la Commission du Dialogue interculturel (2005), « Chapitre 6 : L'interculturalité à l'école », p. 83-92.
Rapport final des Assises de l'interculturalité (2010), « Chapitre 1 : Enseignement », p. 28-52.
Vacher, Y. (2015), Construire une pratique réflexive. Bruxelles, De Boeck.
Van Campenhoudt, L., Chaumont J.-M., et Franssen, A. (2005), La méthode d'analyse en groupe. Applications aux phénomènes sociaux, Paris, Dunod.
Vatz Laaroussi, M. et Gélinas, C. (2013), « Les diversités au cœur de la recherche interculturelle : vers de nouvelles perspectives », Alterstice – Revue Internationale de la Recherche Interculturelle, 3(1), p. 3‐8.
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