La problématique de la violence conjugale a tardivement émergée en France, et il a fallu attendre 2010 pour que la violence conjugale soit décrétée Grande Cause Nationale dans notre pays. Cependant, les enfants qui sont exposés à cette violence restent encore écartés de cette prise de conscience politique et publique.
L'objectif de cette recherche est d'appréhender le point de vue des enfants exposés à la violence conjugale sur leurs relations au sein de leur famille et entre ses membres, et sur son influence quant à la présence - ou non - de symptômes de stress post-traumatique.
Plusieurs études se sont intéressées aux conséquences pour les enfants de vivre dans un tel contexte (Chemtob & Carlson, 2004 ; Doucet & Fortin, 2014). Il ressort ainsi que les enfants exposés à la violence conjugale présentent une multitude de difficultés, de modalités et d'intensité variables. En effet, le fait d'être exposé à la violence dans le couple accentue deux à cinq fois le risque de développer divers problèmes d'adaptation (Sternberg, Baradaran, Abbott, Lamb & Guterman, 2006). Levendosky, Huth-Bocks, Semel et Shapiro (2002) soulignent, concernant leur échantillon de 62 enfants âgés de 3 à 5 ans, que 24% d'entre eux présentent un stress post-traumatique, tout en précisant que tous les enfants de l'échantillon avaient subi au moins un symptôme de stress post-traumatique (anxiété, dépression, colère, dissociation). Lehmann et Elliston (2001) font état d'un effet direct du type de violence conjugale auquel les enfants ont été exposés sur les réponses traumatiques manifestées par les enfants.
Au sein de chaque famille, l'enfant entretient des liens multiples avec chacun des membres qui, eux-mêmes, entretiennent des relations entre eux. C'est pourquoi, Schermerhorn, Cummings et Davies (2008) suggèrent d'appréhender chacune de ces relations, du point de vue de l'enfant, afin de saisir les représentations qu'il élabore dans un tel contexte. Lorsque que l'on s'intéresse au point de vue des enfants sur la relation avec leur mère, ils se montrent très ambivalents, oscillant entre le souhait d'une proximité avec elle mais relevant le manque de disponibilité maternelle (Fortin, Damant, Doucet & De la Sablonnière, 2006). Les enfants estiment ainsi que la relation avec la mère est de qualité tout en regrettant l'insuffisance de ces moments de proximité. Quelques études ont mis en évidence l'importance de la qualité de la relation entre la mère et l'enfant (Savard, 2011) mais trop peu de travaux portent sur le point de vue de l'enfant quant aux représentations des deux parents qu'il construit dans un tel contexte. Or, il paraît essentiel de mieux analyser ce que l'enfant élabore de la dynamique du fonctionnement conjugal. En s'attachant à identifier la notion de pouvoir ainsi que celle de cohésion entre chacun des membres, les symptômes de stress post-traumatique de l'enfant peuvent être ainsi appréhendés. En effet, la représentation de la cohésion dans la famille peut jouer un rôle de protection ou au contraire un facteur de risque, dans l'apparition de certains symptômes de stress post-traumatique. Par exemple, l'étude de Edleson et Williams (2007) indique que les pères auteurs de violence conjugale sont fréquemment en colère et peu attentifs aux expériences et aux sentiments de leurs enfants ce qui peut engendrer des symptômes de stress post-traumatique. Racicot, Fortin et Dagenais (2010) considèrent, quant à eux, qu'il faut « miser » sur la relation mère-enfant pour prévenir les difficultés des enfants.
C'est pourquoi, nous nous demandons comment le degré d'exposition à la violence conjugale et les représentations de l'enfant des relations familiales vont influencer la présence de symptômes de stress post-traumatique chez l'enfant ?
Notre échantillon se compose de 32 mères et de 46 enfants, 26 filles et 20 garçons, âgés de 5 ans et demi à 12 ans, vivant en contexte de violence conjugale. Les mères ont renseigné le « Conflict Tactic Scale II » (Cyr, Fortin & Chénier, 1997) qui apprécie l'intensité de la violence conjugale. Les enfants ont, quant à eux, renseigné le « Trauma Symptom Checklist for Children » (Briere, 1989) dont le but est de préciser les éventuels symptômes de stress post-traumatique, et ils ont participé à une situation de jeu avec le « Systemic Analysis of Group Affiliation » (Compagnone, 2009) qui permet de saisir leurs représentions de la cohésion et du pouvoir au sein de la famille.
Les principaux résultats mettent en évidence qu'un enfant sur six présente un stress post-traumatique. Le degré de l'exposition à la violence de l'enfant influence ses représentations de la cohésion familiale. Nos résultats mettent en évidence que les représentations des enfants concernant la cohésion et le pouvoir dans la famille constituent une variable modulatrice de la présence de symptômes de stress post-traumatique. Les conclusions de l'étude incitent à proposer des pistes d'intervention pour accompagner le développement des enfants exposés à la violence conjugale.
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