Que ce soit dans la vie quotidienne, dans nos occupations socio-professionnelles, dans nos loisirs et, de manière concomitante, dans le domaine de l'éducation à différents niveaux, le numérique fait couler beaucoup d'encre. D'aucuns lisent dans cet essor en accélération rapide, une forme d'aliénation "de l'humain" par la machine ou encore de dissolution de notre identité dans le réseau voire un appauvrissement sans précédent des interactions édificatrices de notre société. D'autres, en constatant ce "Tsunami numérique" (Davidenkoff, 2014) ou cette "Transition fulgurante" (Giorgini, 2014), prédisent l'avènement d'un nouveau monde (une nouvelle Renaissance) et, puisqu'elle y est incluse et qu'elle y prépare, d'une nouvelle "école" aux vertus émancipatrices. Considérant qu'en ce domaine l'aliénation et l'émancipation sont deux solutions de cette problématique pharmacologique (selon Bernard Stiegler (2014), le pharmakon de Socrate reste d'application pour le numérique comme il l'a été pour l'écriture et l'imprimerie en les considérant à la fois comme un remède et comme un poison), nous souhaitons cartographier la manière dont les chercheurs questionnent les répercussions de cette effervescence sur l'école.
Il s'agira tout d'abord de voir quelle définition ils donnent à la notion de numérique. Car, même si l'adjectif "numérique" accompagne bien souvent les nominatifs Société, École, Humanités..., ses attributs sont loin d'être clairs. S'agit-il de la numérisation des médias (le texte, l'image et le son se réduisant en une succession de symboles binaires), d'outils informatiques augmentant notre emprise sur le réel, ses manifestations et sa symbolique ou encore d'instruments technologiques (Rabardel & Samurçay, 2001) contribuant à notre intelligence en démultipliant le champ des interconnections possibles (Serres, 2012) ? S'agit-il tant d'outils et de technologies que d'attitudes, de comportements, de mentalités ?
Nous nous intéresserons ensuite aux questions que posent les chercheurs intéressés par les liens entre éducation et numérique. En particulier, nous nous demanderons à quel type de transformation déjà en cours dans notre société connectée (Siemens, 2005) ils s'intéressent particulièrement (ou négligent) :
- Des savoirs diffusés dans des "cercles fermés" (par les livres, dans les classes ou amphis ...) à des savoirs ouverts et diffusés à l'échelle planétaire, connectés entre eux et en perpétuelle construction collective ;
- Des modes de communication, d'échanges ou de transactions verticaux (top-down ou parfois bottom-up) à des communications, des échanges ou des transactions davantage horizontales en mode réseau ouvert (parfois dénommé du terme ubérisation marquant ainsi des modes interconnectés et décentralisés qui échappent aux structures pyramidales actuelles) ;
- D'une "informatique" fonctionnelle (comment utiliser tels ou tels logiciels de type "usine à gaz" ...) à une "informatique" relationnelle orientée usages spécifiques eux-mêmes orientés utilisateurs (simplicité, versatilité, utilisabilité, accès direct...) ;
- D'espaces et de temps (de formation, d'activités socio-professionnelles...), fortement localisés à une abolition des limites propres aux espaces-temps physiques par le biais des technologies ubiquitaires ou synchrones ;
- Des temps de l'apprendre initiaux ou continus fortement inscrits au début de la vie des individus à un apprentissage toute la vie durant ;
- D'un cloisonnement disciplinaire à une nécessité de pluri ou d'interdisciplinarité entrainée par la complexité des problèmes rencontrés et des compétences nécessaires pour les résoudre ;
- D''un décloisonnement entre théorie et pratique, ces dernières s'enrichissant l'une l'autre en perspective systémique.
Bibliographie
Davidenkoff E. (2014), Le tsunami numérique. Education. Tout va changer! Êtes-vous prêts ?, Stock
Giorgini P. (2014), La transition fulgurante, Bayard.
Rabardel P. et Samurçay R. (2001). From Artifact to Instrument-Mediated Learning, Symposium on New challenges to research on Learning, Helsinki.
Serres M. (2012), Petite poucette, Le Pommier.
Siemens G. (2005). Connectivism : A learning theory for the digital age. International Journal of Instructional Technology and Distance Learning 2 (1). En ligne http://www.elearnspace.org/Articles/connectivism.htm , consulté le 12 février 2016.
Stiegler B. (2014), L'attention, entre économie restreinte et individuation collective, in Y. Citton, L'économie de l'attention. Nouvel horizon du capitalisme ?, La Découverte, pp. 123-135.