4-7 juil. 2016 Mons (Belgique)
Les marchés de l'emploi des enseignants : État des lieux et mise en perspectives
Xavier Dumay  1, *@  
1 : Université de Louvain  (UCL)  -  Site web
Place Montesquieu, 1/14 1348 Louvain-la-Neuve -  Belgique
* : Auteur correspondant

Notre communication analyse le métier enseignant sous l'angle particulier de leurs marchés de l'emploi. Cet ensemble de recherches a émergé dans les années 1970, avec l'idée que la variable ‘enseignante' compte pour expliquer les performances scolaires des élèves. La production scientifique sur ces questions s'est accélérée dans les années 1990 et surtout 2000, notamment autour de la problématisation de la difficile entrée en carrière et des taux de mobilité particulièrement élevés des enseignants novices.

 

Nous commençons par retracer les grandes lignes de recherche qui se sont développées depuis les années 1970 jusqu'à aujourd'hui. Nous épinglons ainsi trois lectures différentes et types de recherche (voir Lothaire, Dumay, & Dupriez, 2012).

 

La première ligne de recherche a porté sur les trajectoires de carrière. Cette dernière s'est principalement attelée, durant deux à trois décennies, à quantifier l'ampleur des sorties du métier (qualifiées d'attrition) et à décrire les facteurs qui les influencent. Elle a longtemps adopté une perspective d'analyse centrée sur les individus et leurs interactions avec le ou les marché(s) du travail, en cherchant à déterminer dans quelle mesure les trajectoires de maintien dans le métier sont conditionnées, d'une part par une série de facteurs individuels comme le sexe, le parcours de formation antérieur à l'entrée dans le métier, la discipline enseignée ou encore le niveau d'efficacité des enseignants une fois en classe, et d'autre part par des paramètres caractérisant le marché du travail enseignant et les marchés du travail vers lesquels se destinent potentiellement les individus quittant le métier d'enseignant, et en particulier les incitants monétaires (à se maintenir dans le métier ou à le quitter). La perspective économique dominante alors adopte un modèle d'analyse qui envisage l'individu comme un acteur rationnel posant des choix individuels et répondant à des incitants, soit à entrer et rester dans le métier d'enseignant, soit à occuper son temps d'une autre manière (Murnane, Singer & Willett, 1987).

 

La seconde ligne de recherche trouve ses origines dans les travaux de Huberman (1989) sur les cycles professionnels des enseignants. Elle suggère que la structure même du développement professionnel enseignant est explicative des décisions de carrière, et que c'est en particulier lors des transitions de phases de développement professionnel que les incitants disponibles jouent un rôle clef dans les décisions de maintien dans la carrière.

 

Cette centration de la littérature sur une perspective d'analyse individuelle ou par les structures de carrière a toutefois connu une inflexion significative au début des années 2000 (Ingersoll, 2001) à la faveur, notamment, de nouveaux modes de régulation du curriculum et des carrières, qui accordaient une place plus importante aux établissements et à la gestion décentralisée. On notera également qu'avec cette inflexion de l'angle d'analyse, les recherches proprement scolaires sur la mobilité professionnelle ont suivi le même sentier de développement que les recherches de psychosociologie des organisations portant sur cette problématique, d'abord centrées sur les caractéristiques des individus, avant d'intégrer plus nettement les facettes occupationnelles et organisationnelles et leurs interactions avec les dimensions individuelles. Cette littérature se différencie de la perspective individuelle sur deux points principaux. Le premier concerne l'unité d'analyse : l'établissement scolaire, plus que les enseignants considérés individuellement, devient l'unité de référence principale à travers laquelle sont pensés et mesurés les problèmes de mobilité professionnelle. La conséquence en est que les phénomènes de mobilité interne au marché du travail enseignant (phénomènes de migration), tout autant que les sorties de ce marché du travail (phénomènes d'attrition), sont considérés avec une égale importance, puisque les deux types de mobilité professionnelle posent des problèmes similaires aux organisations scolaires en matière de recrutement, de stabilité des équipes éducatives ou encore de projets pédagogiques. Le second a trait aux variables mobilisées pour comprendre et expliquer les phénomènes de mobilité professionnelle : en plus des facteurs individuels et des caractéristiques des marchés du travail, au cœur des travaux précédents, sont pris en considération les caractéristiques des organisations et des environnements de travail.

 

Dans un second temps, nous mettons en perspective ce vaste ensemble de recherches. Nous essayons de développer un triple argument. Le premier est que les travaux de recherche jusqu'ici ont négligé une entrée par les carrières et les grandes options politiques (structure bureaucratique, organisation sous la forme d'un marché fermé, autonomie et représentation du corps professionnel, ...) qui les organisent dans différents systèmes éducatifs. Le second est qu'en analysant les marchés de l'emploi par la structure des carrières enseignantes, il est possible de donner sens à des orientations historiques de gestion des carrières enseignantes, mais aussi à des évolutions récentes relatives à la transformation du projet institutionnel de l'école ou des relations d'emploi. Le troisième est que l'analyse par les carrières permet de faire émerger un questionnement relatif à la fragmentation de ces dernières qui accompagne plus généralement la fragmentation du projet institutionnel de l'école.

 

 

 

 

 


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