4-7 juil. 2016 Mons (Belgique)
A quelles questions cherchons-nous réponse à propos de l'articulation entre École et inégalités ?
Hugues Draelants  1@  
1 : Groupe interdisciplinaire de Recherche sur la Socialisation, l'Education et la Formation  (Girsef)  -  Site web
Place Montesquieu, 1/14 1348 Louvain-la-Neuve -  Belgique

Dans les sociétés modernes, l'obtention d'un statut social est censée dépendre non plus de la naissance ou de facteurs hérités mais de facteurs acquis, découlant des talents et efforts d'individus formellement et juridiquement égaux. Cette égalité de principe est en quelque sorte la promesse, le credo séculier dont l'Etat démocratique se veut le garant et l'École l'instrument. Dans nos sociétés, l'institution scolaire détient en effet le monopole de la distribution légitime des individus dans des positions sociales inégales. C'est une des raisons pour lesquelles la recherche en éducation, plus particulièrement en sociologie de l'éducation, a fait de la question des rapports entre l'École et les inégalités un de ces thèmes centraux de recherche à mesure que les systèmes éducatifs se massifiaient. A partir du moment, variable selon les pays (des années 1950 aux années 1970), où tous les jeunes ont eu accès au même type d'enseignement secondaire, le maintien de différences importantes et systématiques de réussite entre élèves selon l'origine sociale interroge. Le fait que l'échec scolaire touche massivement les classes populaires est alors dénaturalisé et l'école accusée de reproduire les inégalités sociales (Bourdieu et Passeron, 1964 & 1970).

Les développements ultérieurs en sociologie de l'éducation, malgré des infléchissements théoriques et méthodologiques notables, témoignent du fait que les chercheurs ont continué à travailler la question du lien entre école et inégalités, dans la mesure où le constat d'inégalités sociales persistantes face à la scolarité s'est imposé comme une réalité difficilement contournable. Les recherches empiriques menées depuis lors affinent en fait l'analyse des mécanismes et processus producteurs d'inégalités face à l'école. C'est le cas notamment des travaux qui s'intéressent à l'influence des pratiques parentales sur la réussite scolaire. Ils confirment que l'influence parentale sur la réussite s'exerce indirectement par le biais de valeurs et méthodes éducatives, d'un rapport à la culture et au langage et par le type d'activités quotidiennes pratiquées. Mais ils montrent qu'elle passe aussi, de manière plus directe, par des pratiques de suivi et d'accompagnement de la scolarité, qui s'apparentent parfois à des stratégies avec des objectifs de réussite scolaire à plus ou moins long terme impliquant choix de l'école, aide aux devoirs, participation aux associations de parents, rencontres avec les enseignants, recours à des professeurs particuliers ou coachs...

L'analyse interne de l'école réalisée dans un grand nombre de recherches francophones depuis le début des années 1980 permet également de mieux comprendre la fabrique concrète des inégalités scolaires. Ces travaux montrent que l'école et ses acteurs peuvent atténuer ou accentuer les inégalités dans la mesure où celles-ci dépendent aussi de la manière dont les systèmes éducatifs sont organisés, de l'accès des élèves à tel contexte d'enseignement, à tel type d'établissement, à tel type de classe et de camarades, qui conduisent à des enseignements plus ou moins porteurs, à des interactions inégalement stimulantes... Le rôle des enseignants a aussi été souligné à cette occasion. Leurs conceptions de l'enseignement et de la pédagogie, et plus encore leurs pratiques, la manière dont ils évaluent, dont ils orientent les élèves participe de la fabrique des inégalités.

Qu'en est-il des recherches récentes, celles menées au cours des quinze dernières années ? La question des rapports entre l'École et les inégalités est-elle toujours aussi centrale ? Comment évolue-t-elle ? Peut-on, en lien avec cette problématique, discerner de nouveaux objets, de nouveaux terrains ? Inversement, quels sont ceux qui ont reflué voire disparu ? Quels types de cadres théoriques et de démarches méthodologiques mobilisent aujourd'hui les chercheurs ? Les recherches récentes dialoguent-elles encore avec les travaux fondateurs des années 1960 et 1970, ceux de Bourdieu et Passeron, de Boudon, de Bernstein... ? Comment envisagent-elles le rapport avec les théories et travaux antérieurs ? Quelles ruptures mais aussi quelles continuités repère-t-on ? Au-delà de la mise en perspective temporelle, la comparaison géographique pourra également être développée. Par exemple en se demandant ce qui caractérise les recherches menées dans tel pays ou dans l'espace francophone par rapport à celles menées dans d'autres pays ou espaces linguistiques ? Ce sont là quelques unes des questions auxquelles ce symposium voudrait apporter réponse en partant de l'hypothèse que ce n'est pas parce que les inégalités scolaires demeurent une réalité persistante que rien ne change en la matière ni dans les comportements des acteurs scolaires. Dans les sociétés modernes avancées, la reproduction sociale, loin d'être un processus naturel, nécessite une intense activité et de nombreuses adaptations de la part des groupes sociaux désireux de maintenir leurs privilèges éducatifs.

De manière générale, il s'agira donc d'historiciser et de contextualiser les recherches sur les inégalités scolaires afin d'essayer de comprendre leurs évolutions actuelles, les directions prises, les thématiques dominantes, mais aussi celles peu présentes ou absentes. Compte tenu de l'ampleur du champ couvert par ce symposium, il ne sera pas possible de tout aborder. Parmi les principales tendances repérables dans les recherches empiriques effectuées au cours de ces dernières années, nous identifions ci-dessous plusieurs thématiques que nous aimerions voir représentées dans ce symposium, certaines classiques, d'autres plus nouvelles. Précisons que cette liste n'a pas vocation à être exhaustive, que d'autres thématiques peuvent être proposées et que le découpage est indicatif, d'autres regroupements étant bien entendu possibles.

(1) école et classes sociales (thématique pouvant être éventuellement découpée en plusieurs sous thématiques : les classes populaires face à l'école ; les nouvelles stratégies éducatives des classes moyennes ; la socialisation et la formation des élites) ;

(2) école et inégalités ethno-raciales ;

(3) école et inégalités de genre ;

(4) effets de contexte (effet établissement, effet maître, effets de pairs) ;

(5) curriculum et pédagogie ;

(6) égalité et modèles de justice scolaire (égalité des chances, égalité des places, méritocratie..., des notions en débat) ;

(7) politiques et inégalités (quelles sont les principales politiques publiques qui ont été menées afin de lutter contre l'échec et les inégalités scolaires et pour quels effets ?) (Compte tenu de l'ampleur du thème le choix pourrait être fait de se limiter à l'analyse des recherches ayant porté sur certaines mesures, ex. discrimination positive, mixité sociale...) ;

(8) discussion et actualité des interprétations classiques des inégalités scolaires (ex. Bourdieu et Passeron, modèle de la reproduction) ;

(9) l'étude des « trajectoires improbables » (réussite des jeunes de milieux populaires ; échec des héritiers) ;

(10) facteurs institutionnels de la diversité des carrières scolaires (structures scolaires), l'apport des comparaisons entre systèmes éducatifs et des grandes enquêtes internationales.


Personnes connectées : 1