Depuis 2009 et la réforme des formations des professionnels de santé paramédicaux (intégration progressive des formations dans le système universitaire), les professionnels de santé vivent une évolution de leur posture professionnelle, qui vient réinterroger leurs pratiques soignantes. Avec la récente Grande Conférence de Santé du 11 février 2016, les représentants des professions et le gouvernement, par la voix de son Premier Ministre, réaffirment cet engagement de la formation initiale de ces professionnels vers une formation « à » et « par » la recherche, ainsi que la place du développement des pratiques de recherche dans les pratiques soignantes.
Ce développement des pratiques de recherche est soutenu depuis 2010 par le Programme Hospitalier de Recherche Infirmière et Paramédicale (PHRIP), piloté par le Ministère de la Santé. Dans le cadre de ce programme, les professionnels de santé paramédicaux sont amenés à devenir des porteurs et des investigateurs de projets de recherche en santé. Cette nouvelle posture vient de nouveau interroger les pratiques soignantes. Ainsi, différentes questions sont soulevées :
Quels sont les parcours de formation de ces professionnels paramédicaux, habituellement positionnés sur des réponses à des prescriptions médicales ? De quelles façons acquièrent-ils les connaissances méthodologiques de la recherche ? Quelle est, de leur point de vue, l'utilité sociale et professionnelle de cette nouvelle formation « à » et « par » la recherche ?
A travers le double modèle de « praticien réflexif » (Schön, 1994), et de « praticien chercheur » (Mias, 2004 ; Péoc'h, 2008), cette recherche vise à comprendre les parcours de formation ainsi que les « nouvelles voies de professionnalisation » (Wittorski, 2008) de ces personnels de santé. Sur le plan méthodologique, elle repose sur l'exploration de cinquante « récits de vie professionnelle » (Bertaux & Singly, 2010 ; Bliez-Sullerot, Mével, & Malet, 2005) de professionnels de santé paramédicaux exerçant dans six Centres Hospitalo-Universitaire de l'ouest de la France. Des analyses longitudinales, comparatives puis thématiques ont été réalisées pour faire émerger des points communs à leurs parcours de formation « à » et « par » la recherche.
L'analyse permet de mettre au jour des mécanismes d'alternance entre formation informelle (rencontre de pairs, lecture personnelle, participation à des réunions) et expérience de la recherche (espace de créativité, auto et éco-formation, autodirection). Cette transformation des identités professionnelles de praticiens de santé vers celle de « praticien chercheur » peut être soutenue par une formation universitaire (de type Master ou Diplôme Universitaire). Cette formation formelle arrive bien souvent en amont de leur entrée dans l'environnement de la recherche, mais permet aussi de stabiliser et de légitimer cette identité tournée vers la recherche. Cette nouvelle identité professionnelle de « praticien chercheur » engage de nouvelles formes d'émancipation personnelle et professionnelle (Eneau, 2014) vis-à-vis des professions médicales. Ce processus d'émancipation favorise l'autonomie de ces acteurs du système de santé, par un renforcement du sentiment d'efficacité personnelle (Bandura, 2007) et une meilleure reconnaissance (Honneth, 2000) de l'impact de ces professionnels de santé sur leurs environnements de travail. Enfin, cette nouvelle identité orientée vers l'innovation permet une meilleure qualité des soins auprès des patients.
Cette question de la formation « à » et « par » la recherche centrale dans le cadre des nouvelles formations paramédicales vient réinterroger mon propre parcours dans la recherche. Comment s'acculturons-nous à un environnement différent de celui pour lequel nous avons été formés ? Cette intégration de l'expérience de terrain vient interroger nos choix de questionnement de chercheur en éducation et formation, souvent en rapport avec la question de l'utilité de notre recherche.
Références :
Bandura, A., & Lecomte, J. (2007). Auto-efficacité: le sentiment d'efficacité personnelle. Bruxelles : De Boeck.
Bertaux, D., & Singly, F. de. (2010). Le récit de vie. Paris : Colin.
Bliez-Sullerot, N., Mével, Y., & Malet, R. (2005). Récits de vie en formation. Paris : L'Harmattan.
Eneau, J. (2014). Emancipation. Dans A. Jorro, Dictionnaire des concepts de la professionnalisation (pp. 91‑94). Paris : De Boeck.
Honneth, A. (2013). La lutte pour la reconnaissance. [S.l.] : Gallimard.
Mias, C. (2004). Praticien – chercheur. Le problème de la double posture. Dans P.-M. Mesnier & P. Missotte, La recherche-action une autre manière de se chercher, se former, transformer. Paris : l'Harmattan.
Péoc'h, N. (2008). L'exigence d'un repérage – ou comment comprendre la double posture intriquée du praticien et du chercheur. Recherche en soins infirmiers, 95(4), 14‑22.
Schön, D. A. (1994). Le praticien réflexif: à la recherche du savoir caché dans l'agir professionnel. Montréal : Éditions Logiques.
Wittorski, R. (2008). La professionnalisation. Savoirs, 17(2), 9‑36.