Les notions de contrainte et d'émancipation sont depuis longtemps associées pour définir de façon paradoxale le dispositif de formation instrumenté, ainsi (Peraya, 1999) considère qu'« un dispositif est une instance, un lieu social d'interaction et de coopération possédant ses intentions, son fonctionnement matériel et symbolique enfin, ses modes d'interactions propres. », pour (Belin, 1999) c'est un « environnement tolérant à l'erreur », pour (Linard, 2002) « c'est quand le sujet est autorisé à être acteur, et non pas opérateur passif, que l'idéologie normative de la rationalisation technique se transforme en idéologie émancipatrice par sa mise à disposition au service de l'activité humaine ». Enfin pour (Astier, 2012, p. 19) « le dispositif est dépositaire de contrainte et d'initiative » sa « conception [est] continuée dans ses usages ». Ces définitions insistent donc à la fois sur le rapport qu'entretien au sein d'un dispositif de formation instrumenté la contrainte et l'émancipation, sur l'importance de l'usage dans la renégociation de ce rapport et sur la place laissée aux acteurs pour la mener.
Sur le plan de l'instrument, les travaux de (Rabardel, 1995) autour de la genèse instrumentale offrent un cadre théorique souvent sollicité pour expliquer comment cette renégociation à lieu, plus précisément dans le cadre des dispositifs de formation instrumentés.
Sur le plan de la motivation des apprenants à s'engager et à persister dans les dispositifs de formation, et compte tenu de la définition que nous avons posée, il est possible de solliciter les théories « du locus de contrôle » (Rotter, 1966), (Levenson, 1973), « du sentiment d'efficacité personnel » (Bandura, 1982), du « continuum de l'autodétermination » (Deci & Ryan, 1985) pour étudier pourquoi certains dispositifs qui laissent moins de possibilités d'action aux acteurs sont d'autant moins susceptibles de supporter leur engagement.
Or, l'apparition récente de dispositifs de formation où la contrainte ne semble pas s'inscrire dans une dynamique de renégociation due aux usages nous interpelle quant à l'agentivité réduite qu'ils réservent aux enseignants et aux apprenants. Ces dispositifs ou éléments de dispositifs particuliers (serious game, vidéos, podcast, QCM, MOOC) sont ceux que nous désirons étudier dans notre symposium, tout en mobilisant les cadres théoriques précédemment cités. Les caractéristiques de ces dispositifs sont les suivants :
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Le processus de conception, construction, perception, usage favorise la division du travail et minimise de fait l'organisation artisanale du travail (Depover, 2014) ;
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La prédominance d'éléments à « entropie faible » permet difficilement les catachrèses humaines (serious game, vidéos, podcast, QCM) ;
ayant pour conséquence :
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D'imposer une distance transactionnelle grande (Moore & Marty, 2011) ;
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De récuser les genèses instrumentales qui peuvent survenir entre la création du dispositif et son animation ;
« Quelles perceptions les enseignants et les apprenants ont ils de leur propre agentivité dans des dispositifs de formations instrumentés lorsque les contraintes induites par ces dispositifs ne semblent pas s'inscrire dans une dynamique de renégociation due aux usages ? ».
Nous proposons d'aborder cette question au travers trois contextes de formation :
Le premier concerne des SPOC (Small Private Online Course) dans lesquels l'organisation du travail en petit groupe est mise en place et gelée pendant une période conséquente de la formation dans le but de favoriser des processus de nidification.
Le second concerne des cours de type blended learning, au sein desquels l'usage de podcasts (baladodiffusion) audio et de capsules vidéo est important.
Le troisième concerne des MOOC (Massive Open Online Course), pour lesquels la division du travail prédomine à leur conception et à leur usage.
Nous proposons d'organiser ce symposium selon un mode classique (présentation de la recherche, questions-réponses) tout en privilégiant un débat autour de questions diffusées aux participants avant le symposium.
Bibliographie
Astier, P. (2012). Les dispositifs, utopie éducative pour temps de crise, un point de vue sur l'ensemble des textes. Transformations. Recherches en éducation et formation des adultes, 7, 17–30.
Bandura, A. (1982). Self-efficacy mechanism in human agency. American Psychologist, 31, 122–147.
Belin, E. (1999). De la bienveillance dispositive : (Extrait de sa thèse de sociologie, choisi et présenté par Philippe Charlier et Hugues Peeters). Hermès, 25, 245–259.
Deci, E. L., & Ryan, R. M. (1985). Intrinsic motivation and self-determination in human behavior. Springer Science & Business Media.
Depover, C. (2014). Quels modèles économiques et pédagogiques pour les MOOC ? Distances et médiations des savoirs. Distance and Mediation of Knowledge, (5).
Levenson, H. (1973). Multidimensional locus of control in psychiatric patients. Journal of Consulting and Clinical Psychology, 41(3), 397–404.
Linard, M. (2002). Conception de dispositifs et changement de paradigme en formation. Éducation permanente, Regards multiples sur Les Nouveaux Dispositifs de Formation, 152, 43–155.
Moore, M. G., & Marty, O. (2011, November 11). La théorie de la distance transactionnelle
Peraya, D. (1999). Médiation et médiatisation : le campus virtuel. Hermès, 25, 153–167.
Rabardel, P. (1995). Les hommes et les technologies, approche cognitive des instruments contemporains. Paris : Armand Colin.
Rotter, J. B. (1966). Generalized expectancies for internal versus external control of reinforcement. Psychological Monographs: General and Applied, 80(1), 1–28.
A quelles questions cherchons-nous réponse :
Comprendre en quoi les contraintes du dispositif influent sur le sentiment d'efficacité personnelle des enseignants et des apprenants ?
Evaluer quelles dimensions de la motivation humaine sont prédominantes dans un tel dispositif ?
Evaluer quelles catachrèses sont mises en œuvre par les acteurs de ce dispositif ?
Comprendre en quoi ces catachrèses influent sur les perceptions que les acteurs ont du dispositif ?
Comprendre quels liens les acteurs font entre leur agentivité et la perception qu'ils ont du dispositif ?
Questions transversales
Comment simultanément répondre aux questions des acteurs de terrain (concernant l'ingénierie des dispositifs) et aux exigences des revues de haut rang par la production d'outils et de méthodes?
Dans le domaine des TICE, les évolutions techniques sont elles porteuses de nouveaux questionnements ou permettent elles de valider dans de nouveaux contextes des cadres théoriques éprouvés?
Les recherches dont nous rendons compte dans ce symposium, portent sur la compréhension de phénomènes éducatifs qui nous interpellent par leur soudaine altérité, en quoi l'ancrage de ce symposium autour de la notion de dispositif instrumenté, met il en tension le renouvellement ou la validation des cadres théoriques sollicités.
Est ce que notre carence en propositions spécifiques, n'affirme t elle pas la nécessaire spécification de cadres théoriques sans doute trop larges pour rendre compte de façon constructive de la spécificité des phénomènes observés.