De nombreuses études (par ex. Oberti, 2007, Ben Ayed, 2009) se sont déjà penchées sur les liens entre ségrégations résidentielle et scolaire. Celle qui fait l'objet de cette communication se caractérise par une approche statistique et extensive ainsi que par un contexte de libre choix de l'école par les parents. Un tel contexte est de nature à accentuer les dynamiques de quasi-marché scolaire (Felouzis et al., 2013), d'autant que l'espace étudié est celui d'une grande agglomération où l'offre scolaire est abondante. La recherche porte en effet sur les enfants qui résident où sont scolarisés en région bruxelloise et qui fréquentent une école maternelle ou primaire dépendante des Communautés francophone ou flamande.
La recherche confirme ce que d'autres auteurs ont déjà observé (Marissal, 2014), à savoir que, dans un tel contexte de libre choix en milieu urbain, la ségrégation résidentielle ne suffit pas à expliquer la ségrégation scolaire. Elle tente cependant d'aller plus loin dans la compréhension des processus qui limitent la corrélation entre ces deux variables, en s'appuyant sur l'analyse statistique de bases de données administratives qui présentent l'avantage de recenser toute la population et le désavantage de contenir des variables conçues pour une base de données administrative plutôt que scientifique (Oberti et Préteceille, 2016).
Nous nous demandons d'abord si la ségrégation observable au plan résidentiel est plus ou moins marquée que la ségrégation au plan scolaire. Nous nous demandons ensuite dans quelle mesure la première ségrégation résidentielle explique la seconde. Pour répondre à ces deux questions, nous nous attachons dans un premier temps à décrire la répartition résidentielle des enfants. Nous mettons en évidence la double logique (socio-économique et communautaire) structurant cette répartition spatiale. Dans un second temps, nous montrons que la ségrégation scolaire est plus accentuée que la ségrégation résidentielle, mais aussi qu'il y a proportionnellement de plus gros effectifs d'enfants dans les écoles favorisées que dans les quartiers favorisés.
Nous expliquons une partie de ces décalages par les flux scolaires entre la région et sa périphérie. Mais nous soulignons que la cause principale de ce différentiel de ségrégation est à chercher du côté des mobilités spatiales et sociales des « internes », c'est-à-dire des enfants domiciliés et scolarisés à Bruxelles. Le libre choix permet en effet aux plus favorisés d'un quartier d'accéder à des écoles socialement plus favorisées que celles dans lesquelles s'inscrivent leurs voisins moins dotés en capitaux.
Ces constats, qui démentent les rhétoriques fréquentes considérant la ségrégation résidentielle comme la source essentielle de la ségrégation scolaire, ouvrent des questions à propos des régulations à mettre en place pour favoriser davantage de mixité (Cantillon, 2009). Mais ils questionnent aussi ce qui fonde les comportements générateurs de ségrégation dans le chef des écoles et des familles, et plus fondamentalement les raisons qu'il y a à souhaiter davantage de mixité scolaire.
Regard réflexif sur la question de recherche
Une telle conclusion devrait conduire les chercheurs du champ à s'interroger sur la pertinence des questions qu'ils se posent à propos de la ségrégation scolaire, et sur les conceptions de l''action politique qui sous-tendent les recherches qu'ils mènent sur cette problématique. S'interrogent-ils en effet suffisamment sur le lien entre le contexte sociétal néo-libéral et les raisons qui poussent les familles à renoncer à la mixité scolaire ?
Références bibliographiques
Ben Ayed Ch. (2009), Carte scolaire et marché scolaire, Du temps.
Cantillon E. (2009), Réguler les inscriptions à Bruxelles, Brussels studies, n° 32.
Felouzis G., Maroy C. et van Zanten A. (2013), Les marchés scolaires. Sociologie d'une politique publique d'éducation, PUF, coll. « Education et société ».
Marissal P. (2014, La ségrégation entre écoles maternelles. Inégalités entre implantations scolaires : les inégalités sociales entre quartiers ont trop bon dos, Education et formation, e-302
Oberti M. (2007), L'école dans la ville, Presses de Sciences Po.
Oberti M. et Préteceille E. (2016), La ségrégation urbaine, La Découverte.