4-7 juil. 2016 Mons (Belgique)
Sortir du silence des institutions : la double discrimination subie par les enfants confiés à l'aide sociale à l'enfance
Pierrine Robin  1@  , Marie Pierre Mackiewicz  1@  
1 : UPEC, LIRTES
Observatoire Universitaire Education et Prévention (OUIEP)

Si la protection de l'enfance concerne tous les milieux, les études montrent néanmoins une surreprésentation dans les familles concernées des classes populaires d'une part et des minorités visibles d'autre part (Gheorghiu et al., 2002 ; Serre, 2009). Cette surreprésentation des milieux populaires et des familles ayant connu un parcours migratoire peut avoir plusieurs causes : un lien ancien entre migration et protection de l'enfance lié au passé colonial, un contrôle social accru qui pèse sur ces familles ou encore la fragilisation des liens familiaux induites par les expériences migratoires. Pourtant il s'agit rarement d'une donnée interrogée et ce, dans les institutions socio-éducatives comme dans les recherches. Il y a sans doute une double peur autour de ce silence des institutions : d'une part celle de stigmatiser encore davantage la population des enfants protégés en soulignant d'autres traits qui les discrimineraient, d'autre part celle de rompre à leur encontre avec le principe de l'égalité républicaine, perçu comme le garant institutionnel d'une juste place sociale, malgré un parcours encore jugé marginal. Aussi il n'existe pas à ce jour d'outils autour de la prévention des discriminations. Les pratiques elles-mêmes ne font pas l'objet d'études spécifiques, et encore moins de recommandations.

 

C'est pourquoi nous proposons de présenter, en amont de toute prévention, les résultats d'une recherche qui a fait émerger ces problématiques, sans qu'elles aient été d'ailleurs ciblées au départ. La méthode mise en œuvre, celle d'une approche par les pairs, explique l'émergence de ces problématiques laissées jusque-là dans l'ombre (Robin, Mackiewicz et al. 2015). Dans le cadre de cette recherche, conduite de 2012 à 2015 en Ile de France, 14 jeunes enquêteurs de 18 à 29 ans ayant eux même connus une expérience de placement et pour 12 d'entre eux issus des minorités visibles sont alles à la rencontre de 36 jeunes passés par l'aide sociale à l'enfance, âgés de 16 à 26 ans dont les 2/3 étaient également issus des minorités visibles, sur la question de la transition à l'âge adulte après une mesure de placement. La situation d'enquête entre pairs, et l'interrogation des parcours au regard de multiples variables de sexe, d'âge, d'orientation sexuelle, de race, a permis d'attirer l'attention sur les doubles discriminations (dans la famille d'accueil et dans la famille d'origine) que peuvent subir les jeunes pris en charge. Les résultats montrent aussi comment, dans l'expérience des jeunes, les différentes instances (école, famille) confortent et renforcent certaines discriminations (Dubet et al., 2013). Ils soulignent enfin les discriminations liées à la transgression identitaire dans le cadre d'une expérience de déplacement social et une identité impossible, propre au passing. Les résultats montrant donc l'importance de mettre davantage à jour ces discriminations. L'équipe de recherche se mobilise actuellement sur un nouveau projet, davantage centré sur ces questions et qui vise à développer avec les professionnels des outils de prévention de ces situations.

Nous comprendrons ici les inégalités sous l'angle du passage entre des mondes sociaux (même si celui-ci est contraint), et de l'interdit de la transgression identitaire (Jacquet, 2014).

 

 

 

Références bibliographiques

  • Dubet, F., Cousin, O. Macé, E. et Rui, S. (2013). Pourquoi moi ? L'expérience des discriminations. Paris : Éditions du Seuil.
  • Gheorghiu, M., Labache, L., Legrand, L. et al., (2002). Rapport final de la recherche longitudinale sur le devenir des personnes sorties de l'ASE en Seine-Saint-Denis entre 1980 et 2000. Bobigny, juin 2002.
  • Jaquet, J. (2014). Les transclassses ou la non-reproduction, Paris : PUF.
  • Robin, P., Mackiewicz, M.P. et al. (2015). Une recherche par les pairs en protection de l'enfance pour renouveller les formes de connaissance en contexte de disqualification, Les recherches actions collaboratives, une révolution de la connaissance, les chercheurs ignorants, (dir), Paris : Presses de l'EHSP, p. 138-146.
  • Robin, P., Mackiewicz, M.P. et al. (2015). Le « lost in translation » ou les supports d'identificatoires en protection de l'enfance, vus au travers d'une recherche par les pairs. In Carl Lacharité, Catherine Sellenet et Claire Chamberland, La protection de l'enfance, la parole des enfants et des parents (p. 65-76). Québec : Presses Universitaires du Québec.
  • Serre, D. (2009). Les coulisses de l'Etat social. Paris : Raison d'agir.

 

 



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