Porté par la politique de la ville, le Programme de Réussite Éducative vise à la réduction des inégalités au sein des territoires en proposant des parcours individualisés d'accompagnement scolaire et social, aux enfants les plus fragilisés des quartiers prioritaires et ce, en lien étroit avec l'Éducation Nationale. Dans la ville étudiée, aucun temps n'est cependant prévu en amont pour que les enseignants et les intervenants du PRE se rencontrent et échangent autour des situations familiales qu'ils ont en commun (CROZIER 2004). La recherche en cours interroge les possibilités de réalisation d'un travail partenarial dans ce contexte, ainsi que les effets sur l'accompagnement proposé dans le cadre d'un projet commun, qui pourrait être favorable à la réussite des enfants-élèves.
Les données récoltées grâce à l'enquête ethnographique et aux observations participantes menées pendant deux ans, ainsi que l'analyse des entretiens réalisés auprès des enseignants et des intervenants, ont tout d'abord permis de comprendre que ces acteurs agissent en fonction de leurs besoins propres, ce qui se révèle être contre-productif au regard de l'action commune (CROZIER 2004). La pertinence de cette dimension s'inscrit dans l'hypothèse où l'instrumentalisation politique du local crée des conflits d'intérêt et de pouvoir entre les acteurs (BEN AYED 2009) peu ou mal formés à travailler ensemble.
D'une part, le corps enseignant attend majoritairement du PRE qu'il compense « les carences » culturelles et éducatives des parents en proposant un accompagnement scolaire dans la continuité de ce qui est réalisé en classe. D'autre part, les intervenants, non formés et au statut précaire, cherchent la reconnaissance de leur travail en accordant davantage d'importance aux devoirs, même si cela n'entre pas dans leurs missions. Le décalage entre les attentes des enseignants, les missions des intervenants et les actions réalisées, entraîne des confusions qui malmènent la relation, entrave l'élaboration d'un projet commun et ralentit la progression des élèves et des acteurs.
Face à la dissymétrie professionnelle entre les acteurs, des croyances et un imaginaire en commun ont alors été recherchés, afin de découvrir quelles pouvaient être les bases sur lesquelles s'appuyer pour communiquer et créer une relation de type partenarial (MERINI 2006). Il en ressort que leurs représentations des familles en difficulté sont assez similaires. Le déficit et le désinvestissement sont, pour eux, les principales explications de l'échec des élèves. Partageant des présupposés et disposant de savoirs potentiellement complémentaires – les intervenants au sujet de la famille, les professeurs des écoles en pédagogie – un dialogue semblerait pouvoir s'établir. Or, ces informations ne sont que rarement partagées ou ne sont pas exploitées au profit de l'accompagnement. Les rencontres n'ont pas pour objectif de préciser les actions à mettre en place ou d'enrichir mutuellement leurs connaissances de la situation familiale. Aucune des situations rencontrées ne témoigne d'une stratégie commune.
L'absence de règle institutionnelle structurant l'action de terrain, conduit enfin les acteurs à élaborer une division du travail éducatif (TARDIF 2010), les enseignants mettant en avant leurs besoins strictement scolaires et déléguant la surcharge de travail que représente un élève en difficulté. L'accompagnement se meut alors en aide aux devoirs, ce qui n'apporte aucune plus-value au regard des dispositifs du droit commun déjà existants. Il ne s'agit pas de blâmer les individus mais d'interpeller les cadres quant au manque de formation de leurs acteurs et de règles structurant le partenariat de terrain.
Les interrogations principales de cette étude s'articulent autour des réponses apportées aux bénéficiaires du dispositif. Ainsi, les questions de restitution aux, et l'utilisation des résultats par les enquêtés se posent tant sur le plan éthique que scientifique, mais aussi parfois personnel au gré des rencontres et des situations vécues.
Bibliographie :
Ben Ayed, C. (2009). Le nouvel ordre éducatif local. Mixité, disparités, luttes locales. Paris. PUF.
de Certeau, M. (1990) L'invention du quotidien. Gallimard.
Crozier, M., & Friedberg, E. (2004). L'acteur et le système, Éditions du Seuil.
Merini, C. (2006) Nature et limites des partenariats éducatifs. En ligne sur le site de l'association des directeurs de biblithèques départementales de prêt http://www.adbdp.asso.fr/spip.php?article421, consulté le 26 mars 2014
Payet, J.-P. (1997). Le « sale boulot » : Division morale du travail dans un collège en banlieue. Les Annales de la recherche urbaine, n°75, p-p.19-31.
Tardif M., & Levasseur, L. (2010). La division du travail éducatif, PUF.
Mots-clés :
réussite éducative, division du travail, bricolage, politique publique, rapports de pouvoir, partenariat
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