4-7 juil. 2016 Mons (Belgique)
Les freins à la préscolarisation en France
Sylvie Condette  1@  , Catherine Ruffin-Beck@
1 : Centre Interuniversitaire de Recherche en Education de Lille  (CIREL)  -  Site web
Université Lille III - Sciences humaines et sociales : EA4354
Domaine universitaire du pont de Bois 59650 Villeneuve d'Ascq - France -  France

Argumentaire

Les structures préscolaires dans les différents pays d'Europe sont multiples (garderies, crèches, jardins d'enfants, écoles maternelles) et répondent à des attentes sociales et institutionnelles bien définies, liées aux politiques familiales et éducatives propres à chacun des pays (Charmel, 2003).

Dans les années 1980, la France a fait le choix de scolariser les enfants dès l'âge de 3 ans (parfois 2 ans), bien avant le début de la scolarité obligatoire toujours fixé à 6 ans. L'objectif de cette scolarisation précoce était de les faire entrer rapidement dans ce processus dynamique et complexe que constitue la socialisation (Dubar, 2010), et de faciliter la connaissance de soi (Mucchielli, 2013), la découverte d'autrui et l'intégration au groupe (Leclercq, 1995).

Quelques 30 ans plus tard, le choix politique initial persiste et même se renforce ; l'une des priorités de la loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République du 9-07-2013 consiste en effet à développer la scolarisation de ces jeunes enfants en s'adressant en particulier à des publics prioritaires. Il s'agit de promouvoir une politique compensatoire qui parvienne à réduire les écarts entre les enfants qui bénéficient d'un environnement propice aux études et ceux qui restent éloignés de la culture scolaire. Des recherches scientifiques, s'appuyant sur des enquêtes de terrain, ont bien montré que la réussite scolaire reposait en partie sur des formes de mobilisation familiale voire sur un surinvestissement parental dans un projet scolaire où la transmission du capital culturel constitue sans conteste un atout indéniable dans la compréhension des attendus et des implicites scolaires (Perrenoud, 2013). Ainsi, certains élèves bénéficient dès leur plus jeune âge des repères qui leur permettent, par le jeu des dispositions sociales et de l'héritage familial, de se construire des schèmes mentaux et comportementaux adaptés aux situations scolaires d'apprentissage (Lahire, 1995).

L'Institution scolaire connaît cette réalité et entend la prendre en compte, notamment par une politique compensatoire destinée aux enfants qui ne possèdent pas l'habitus permettant de maîtriser les mécanismes de décodage, de compréhension et d'adaptation aux évolutions du curriculum, aux règles du vivre ensemble, et aux exigences des enseignants (Forquin, 2008 ; Joigneaux, 2009). La scolarisation précoce, dès l'âge de deux ans, fait partie des propositions visant à réduire les déficits et à rétablir un équilibre entre les élèves pour que chacun bénéficie pleinement des enseignements dispensés et s'épanouisse dans un environnement bienveillant.

Un rapport de l'Inspection Générale (Pétreault, Buissart, 2014) indique qu'à la rentrée 2013, les effectifs au niveau national ont augmenté et le taux général de scolarisation des enfants de moins de trois ans est passé de 11 % en 2012 à 11,8 % en 2013 (20,4% en éducation prioritaire), même s'il existe des différences notables entre les académies. Le Ministère de l'Education nationale voudrait augmenter encore ce taux pour un objectif national en éducation prioritaire fixé à 30%.

Problématique

Dans le choix d'une scolarisation précoce, de nombreux facteurs entrent certes en considération, mais le rôle et l'implication des parents paraissent tout à fait primordiaux car ce sont bien les parents qui prennent la décision de scolariser ou non leur enfant avant l'âge de 6 ans ; ce sont eux aussi qui contribuent à la qualité relationnelle et facilitent les liens nécessaires avec le personnel enseignant. On observe de ce point de vue que certaines familles retardent la scolarisation de leur enfant et on en connaît encore assez peu les raisons.

 Méthodologie

La recherche menée est en cours de réalisation (novembre 2015-juin 2016). Elle est financée par la politique de la ville et l'Inspection académique du Nord et vise à identifier et comprendre les motifs qui conduisent à ne pas scolariser les enfants dès l'âge de 2 ans alors que les possibilités d'accueil semblent offertes.

Une enquête quantitative par questionnaire est mise en œuvre sur 4 territoires : Lille, Valenciennes, Denain, Caudry. Elle cible à l'intérieur de chacune de ces communes, les écoles maternelles appartenant au programme de la politique de la ville.

Une enquête qualitative est également en cours et s'appuie sur des observations in situ et des entretiens semi-directifs. Les acteurs de l'école (directeurs/directrices, enseignants, personnel municipal ATSEM), les acteurs de la politique de la ville et de la petite enfance sont interrogés sur la mise en oeuvre de la préscolarisation et ce qui peut y faire obstacle. Les familles, et notamment celles qui refusent la scolarisation précoce, sont également sollicitées, en s'appuyant en particulier sur les associations de quartier qui peuvent faciliter la mise en relation.

Résultats attendus

Les chercheurs impliqués dans cette recherche souhaitent mettre en évidence les freins à la préscolarisation, en croisant les approches, les représentations et les réalisations de différents acteurs. A cette diversité s'ajoute une analyse comparée des territoires de l'enquête pour tenter de mettre en évidence des éléments convergents mais aussi des dynamiques ou obstacles locaux qui encouragent ou freinent le développement de la scolarisation des enfants dès l'âge de deux ans.

Analyse réflexive

Le sujet de recherche interpelle le chercheur, lequel, apprenant aussi à se connaître lui même, identifie son expertise comme appui à la proactivité dans les apprentissages. Le chercheur doit être garant d'une démarche scientifique. Quelle distance garde-t-il avec son sujet de recherche? Dans la médiation, Espinasse (2000), « Travailler à l'accueil des jeunes enfants et de leur famille, c'est une certaine manière d'être en état de vacance à soi-même, dégagé d'une préoccupation narcissique pour se tourner vers d'autres visages, d'autres sujets (...). C'est peut-être à travers cette disponibilité que peut naître une certaine qualité de présence ». Le chercheur aurait-il intérêt à développer cet état de vacance à lui-même pour se rendre disponible, apprendre à développer cette « relative bonne distance », expression empruntée aux canadiens à propos de l'empathie, pour mieux investiguer le sujet choisi ?

La question de l'éthique -dans le cadre des intentions préalables au projet ou de la réappropriation des résultats- est bien présente. L'éthique procédurale, qui se met au service d'une rationalité instrumentale, pour reprendre l'idée de de Gauléjac (2009) dans La société malade de la gestion. Mais le chercheur peut aussi être confronté à la difficulté de la communication de la réponse -des réponses-. Faut-il toujours communiquer les mêmes informations aux différentes instances ? La question de la vulgarisation de la recherche questionne ce qui peut être communiqué ou non, y compris la question du retour aux acteurs impliqués dans la recherche, notamment s'il s'agit d'une recherche-action. Faut-il dès lors mettre en place des comités d'éthique qui permettent en amont de questionner le choix des sujets de recherche et/ou les méthodes (Vassy, Keller, 2008), voire de débattre des formes de restitution. Qu'est ce qui fonde les caractéristiques d'une démarche éthique ?

 



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