Penser l'école en terme de communauté était le symbole du renouveau pédagogique des années 1960-70, bien que cette manière de penser l'éducation ait été expérimentée en d'autres temps. L'idée consistait à en finir avec la forme scolaire légitimée, un maître, une classe et à rompre avec une conception scolaire ancienne, qui tenait la clôture du lieu des études pour la condition du sérieux de l'enseignement dispensé. Pour les instituteurs de l'époque, c'était aussi expérimenter dans des établissements d'un autre type, en s'arrogeant une mission ambitieuse : d'abord celle de mieux lier l'école et la vie, ensuite de faire participer d'autres personnes concernées par l'éducation des enfants (parents, animateurs de loisirs). Le but visait plus d'efficacité à leur action sur les élèves. En quelque sorte, l'éducation communautaire était au coeur du projet d'école ouverte, considérée comme une instance de transformation des pratiques pédagogiques, en réponse à la crise que connaissait le premier degré au tournant des années 1970. C'est un objectif qui a ébranlé les cadres anciens de l'institution, déstabilisé les formes d'organisation du travail enseignant et engagé les instituteurs dans une reconversion professionnelle, identitaire et culturelle, suggèrent Martine Khéroubi et Eric Plaisance (2000, 32)). Penser leur travail en termes de partenariat éducatif, interroge le sens pris par la croisade des rénovateurs de l'école en faveur de la communauté et les ressources mises à disposition pour plus de justice sociale et scolaire.
L'objectif de cette communication est d'interroger la notion de communauté en tant que nouvelle forme scolaire. Il ne sera pas question d'en apprécier les éventuels effets, mais plutôt de se demander comment cette notion, absente du discours scolaire, voire combattue à certaines périodes, s'impose en tant que figure de rhétorique majeure pour transformer l'école, dans le dernier quart du XXème siècle. Il s'agit de mettre en évidence la genèse de cette conception communautaire de l'éducation, ses sources, son fondement idéologique et les canaux de sa diffusion dans le monde pédagogique. Dans cette perspective, nous nous sommes appuyé sur différents types de matériaux : deux analyses historiques d'une expérience renommée pour être un modèle de communauté éducative : l'école des cadres d'Uriage 1940-42 (Delestre 1989), (Comte 1995). Nous avons cherché ensuite à repérer l'écho donné à ce modèle au colloque d'Amiens en 1969, quand l'hétérogénéité scolaire s'impose et se traduit par des choix pédagogiques qui s'écartent de la gestion centralisée du système, activant des communautés locales (AEERS, 1969). Enfin, la mise en oeuvre de la notion de communauté éducative est observée dans trois récits hagiographiques : En sortant de l'école, 1978, une voie communautaire (Millot , 1979), Ecoles en rupture (1981). Ces expériences, situées à l'extrémité de la chaîne de diffusion de l'esprit communautaire, animées par des instituteurs volontaires, est présentée comme l'expression d'une pensée critique enseignante.