Dans la partie qualitative d'une thèse soutenue en 2011, « Estime de soi et sentiment d'efficacité personnelle comme facteurs de réussite scolaire : une étude en lycée professionnel », nous avons confirmé ce que nous pressentions, à savoir que les enseignants des disciplines générales et professionnelles interrogés utilisaient, dans leurs pratiques, des stratégies pédagogiques basées sur l'estime de soi et le sentiment d'efficacité personnelle. Ainsi, ces élèves qui, à leur arrivée, disent « je suis nul », « je n'y arriverai jamais » reprennent peu à peu confiance, suffisamment pour s'engager dans de nouveaux apprentissages. Les stratégies développées contribuent aussi à maintenir l'engagement et à créer de la persévérance. Ces pratiques ré-inscrivent une majorité d'élèves dans un processus de réussite scolaire et, parfois, de poursuite d'études.
L'objet de cette soumission est de présenter quelques résultats de la partie quantitative. Des questionnaires de mesure d'estime de soi[1] et de sentiment d'efficacité personnelle[2] ont été appliqués à 235 élèves, filles et garçons, de sept établissements et sections différentes. Ils ont été présentés au tout début et à la fin de leur première année scolaire pour être comparés et traités statistiquement.
Sans avoir d'hypothèse à ce sujet, excepté le fait que l'estime de soi et le sentiment d'efficacité personnelle pouvaient se renforcer mutuellement, nous voulions observer si et comment l'estime de soi et le sentiment d'efficacité personnelle évoluaient et se reconstituaient, s'il existait un processus de généralisation de l'un sur l'autre, et si oui, lequel.
L'échelle d'estime de soi choisie nous a permis de tester cinq sous-dimensions[3].
- Les questionnaires ont montré une différence de constitution de l'estime de soi que l'on soit fille ou garçon.
- Dans les groupes d'élèves en progrès, nous avons constaté une évolution et des processus de restructuration genrés.
- Nous avons vu que l'estime de soi et le sentiment d'efficacité personnelle étaient fortement corrélés.
- Nous savions que les filles avaient un sentiment de valeur personnelle inférieur[4] à celui des garçons. Ces questionnaires l'ont confirmé, toutefois, la recherche menée montre que les garçons ont un sentiment d'efficacité personnelle inférieur à celui des filles. Là où les filles douteraient d'elles-mêmes plus que de leurs aptitudes, les garçons douteraient de leurs aptitudes davantage que d'eux-mêmes.
- Là où au début de l'expérience, on peut évoquer des mesures qui sont le reflet de désordres (sur-estimation/sur-investissement ou sous-estimation/sous-investissement) dans un domaine, on s'aperçoit qu'après quelques mois, avec une évolution, il se produit surtout un phénomène de ré-équilibrage des différentes mesures.
Á la fin de l'expérience, parmi les cinq dimensions de l'estime de soi testées, quel que soit le groupe de progrès, chez les filles, le soi émotionnel reste à stabiliser. Chez les garçons, il s'agit du soi scolaire. Du point de vue du développement personnel et scolaire, on pourrait ainsi retirer des enseignements pour des pratiques qui devraient être attentives à ce phénomène. Avec ces résultats, il est également tentant d'établir des liens avec le décrochage scolaire des garçons et avec un leadership féminin qui a du mal à s'affirmer.
Á quelles questions cherchons-nous réponse ?
Cette recherche sur les pratiques pédagogiques d'un Lycée Professionnel qui prend en charge des élèves qui ont été en difficulté pour tenter de les remettre en situation de réussite est une « recherche libre ». Il ne s'agit pas d'une réponse à une commande mais le résultat d'observations de terrain qu'il était intéressant, utile de mettre en évidence. Si cette forme de recherche émane du terrain, d'une réalité observée, on ne peut pourtant pas dire que cette réalité observée ne soit pas orientée.
Paul Ricoeur met l'accent sur le fait que nous n'observons ou ne sommes sensibles qu'à que ce qui fait écho à notre propre histoire, à notre représentation du monde. Née après un enfant handicapé, j'ai un « compte à régler » avec l'observation de l'empêchement à être, à faire, à réussir. J'accepte difficilement l'idée d'un développement personnel, d'aptitudes, d'une créativité qui ne trouvent ni moyens ni lieu où s'exprimer. Ce faisant, je suis particulièrement sensible aux différentes formes de discriminations, au décrochage scolaire, à l'échec scolaire. Dès lors, comment ne pas vouloir rendre l'école plus inclusive, adaptée au plus grand nombre ? Ce vécu intime m'a inscrite dans une forme d'insoumission à l'échec, dans un processus de réparation, à la fois de la personne et de l'injustice, et dans la recherche permanente de méthodes susceptibles de (re)construire de la réussite. Ainsi, sous la trame très visible de ces travaux, cherchons-nous sûrement aussi réponse à nous-mêmes.
Pour autant, la forme particulière que prend la « recherche libre » ne la rend pas secondaire. Sans doute permet-elle d'indiquer des lieux, de diriger l'attention vers des endroits que l'on n'aurait pas l'idée d'aller observer, vers des pratiques professionnelles différentes. Elle permet d'ouvrir la porte à des domaines non-investigués ou délaissés, à des sujets sensibles. Á ce titre, elle me semble indispensable et vitale pour la recherche.
BIBLIOGRAPHIE
- Oubrayrie N., De leonardis M., Saffont C., « Un outil pour l'évaluation de l'estime de soi chez l'adolescent : l'ÊTES », Revue européenne de Psychologie appliquée, 4ème trimestre 1994, n°4.
- Scherer M., Maddux J. E., Mercadante B., Prentice-Dunn S., Jacobs B., Rogers R. W., « The self- efficacy scale : construction and validation », Psychological reports, 1982, 51, pp663-671.
(Traduction Chambon Olivier).
- Education et Formation, n°72, Les représentations des élèves du panel 1995, sept ans après leur entrée en 6ème (Enquête jeunes 2002), Estime de soi et réussite scolaire sept ans après l'entrée en 6ème, septembre 2005.
[1] Oubrayrie N., De leonardis M., Saffont C., « Un outil pour l'évaluation de l'estime de soi chez l'adolescent : l'ÊTES », Revue européenne de Psychologie appliquée, n°4, 4ème trimestre 1994.
[2] Scherer M., Maddux J. E., Mercadante B., Prentice-Dunn S., Jacobs B., Rogers R. W., « The self- efficacy scale : construction and validation » Psychological reports, 1982, 51, pp663-671. Traduction Chambon O.
[3] 5 sous-dimensions (soi futur, soi physique, soi social, soi scolaire, soi émotionnel) concernant les représentations que l'on a de soi dans ces domaines.
[4] Education et Formation, n°72, Les représentations des élèves du panel 1995, sept ans après leur entrée en 6ème (Enquête jeunes 2002), Estime de soi et réussite scolaire sept ans après l'entrée en 6ème, septembre 2005.