Le décrochage scolaire, « le nouveau nom de l'échec scolaire » (Glasman, 2012) est un phénomène international, défini selon une pluralité de termes : démobilisation (Glasman, ibid.), désengagement scolaire (Ballion, 2000), déscolarisation mentale (Navarro & Pain, 1993), abandon scolaire, décrocheurs passifs ou actifs (Langevin, 1994), décrochage de motivation, de confort (Costa-Lascoux, 2002). Nous privilégions ici le terme de « décrochage » (Blaya, 2010), évitant ainsi de faire porter la responsabilité aux élèves en décrochage scolaire et définissons le phénomène comme un processus et non comme un état de la personne. Cette « maladie nosocomiale de l'école » (Pain, 2012), varie d'un pays à l'autre, d'une période à l'autre aussi.
Au-delà, le caractère multidimensionnel et complexe du décrochage scolaire conduit à des interrogations plurielles dont celles concernant l'égalité des chances. Depuis plusieurs années, l'Europe se mobilise pour lutter contre l'abandon des études et augmenter le nombre de diplômés et vise à diminuer le taux de décrochage d'ici 2020 pour qu'il passe en deçà de 10 %. Même si le taux baisse en France depuis 30 ans, cette baisse se ralentit depuis 1995 (Bernard, 2011). En contexte ultramarin, la situation est sensible avec néanmoins, une évolution dans le cas de l'académie de La Réunion, qui compte 4 861 jeunes de plus de 16 ans, sortis sans qualification en mars 2015 contre 5 875 en 2013, soit une diminution d'environ 20 % du nombre d'élèves en décrochage. Au Québec, le nombre de jeunes sortant du système scolaire sans qualification a été divisé par trois entre 1999 et 2006 (passant de 34 % à 12 %, voir Balas, 2012).
Parmi les facteurs explicatifs du décrochage, les études montrent la prépondérance des variables scolaires réparties en quatre grands systèmes : l'élève, la classe (l'enseignant), l'école et les parents (Potvin & Pinard, 2012). Chaque pays a une approche et des expérimentations qui lui sont propres, la question des alliances éducatives pour lutter contre le décrochage (Gilles, Potvin & Tièche Christinat, 2012) se pose naturellement, question déjà évoquée en 2010 lors du 16ème congrès de l'AMSE (Association mondiale des sciences de l'éducation), mais la plupart des travaux appréhende de façon souvent morcelée cette réalité complexe. Cette démarche conduit inéluctablement vers une myopie scientifique et vers des explications mono-causales.
La liste des facteurs de risques reconnus pour ce qui est du décrochage scolaire est telle que l'on s'intéresse maintenant aux concepts multidimensionnels pouvant s'inscrire à sa source et aux trajectoires pouvant y conduire (Janosz & al., 2008). La littérature scientifique présente ainsi des dispositifs (en France comme au Québec) visant à réduire l'indicateur européen « décrochage » qui permet la mise à l'agenda de cette priorité politique et de poser le débat sous l'angle de l'articulation du double thème des décrochages et raccrochages scolaires (Glasman, 2004 ; Bernard & Vénart, 2013).
Le symposium propose de réfléchir autour de deux axes :
(1) la part des alliances éducatives au sein des dispositifs et expérimentations de prévention ou de lutte contre le décrochage scolaire ;
(2) l'éclairage apporté par les perceptions du double processus de décrochage et de raccrochage scolaire à travers des points de vue exprimés par les acteurs du système (enseignants, parents, mais également en collège ou lycée, l'ensemble des acteurs de la communauté éducative : CPE, conseillère d'orientation psychologue, assistante sociale...) sans négliger les premiers concernés, les élèves pré-décrocheurs ou décrocheurs (passifs ou actifs).
Les communications s'inscrivent dans l'un des axes, les analyses sont étayées à l'aide d'un corpus théorique et conceptuel, convoquant un, voire plusieurs paradigmes. Enfin, les propositions ainsi que les résultats présentés et discutés devraient alimenter la réflexion sur la question de l'égalité des chances en matière de politiques éducatives.
Pour traiter la question transversale du congrès, un exposé introductif sera proposé par un des communicants avec présentation des axes ainsi que des questions afférentes. Y seront privilégiées les questions de recherche suivantes : quel lien existe-t-il entre le décrochage et les variables scolaires, dont les plus prégnantes sont le climat scolaire dans son ensemble, le manque de clarté des règles, la perception de la capacité d'innovation chez les enseignants, le soutien des enseignants et l'engagement scolaire ? Comment les appréhender en contextes et quelles propositions peut-on imaginer avant même que le décrochage pointe son nez et que le désir d'apprendre du pré-décrocheur disparaisse (décrochage provisoire) ? En quoi les alliances éducatives, la stratégie d'équipe en établissement peuvent-elles avoir un impact sur la socialisation à l'œuvre dans l'espace scolaire ainsi que sur l'instruction (raccrochage scolaire) ?
Dans ce symposium, le débat est nourri par des approches successives et complémentaires de chercheurs en sciences de l'éducation qui s'intéressent à ces questions dans des contextes différents (Québec, Suisse, Ile de La Réunion), examinant l'articulation des deux processus, décrochage provisoire et raccrochage scolaire, et les facteurs explicatifs de cette dynamique, ou bien, tentant de repérer les élèves dits « fragiles » et susceptibles de décrocher, de les « classifier » selon des outils de dépistage, chacun d'entre eux, cherchant à identifier les leviers d'un accompagnement réussi conduisant le jeune à raccrocher.
Ballion, R. (2000), Les conduites déviantes de lycéens, Paris, Hachette.
Bernard, P.Y. (2011), Le décrochage scolaire. Paris : PUF.
Bernard, P.Y. & Venart, A. (coord.), (2013), « Décrochages, raccrochages », Administration et éducation, n°137, pp. 5-131.
Blaya, C. (2010), Décrochages scolaires. L'école en difficulté, Bruxelles, De Boeck.
Gilles Jean-Luc, Potvin Pierre & Tièche Christinat Chantal (dir.) (2012). Les alliances éducatives pour lutter contre Le décrochage scolaire. Berne, Peter Lang.
Glasman, D. (2008), Le décrochage scolaire : une question sociale et institutionnelle, in Diversité Ville Ecole Intégration – n°154, septembre 2008, pp. 76-85.
Janosz, M., Archambault, I., Morizot, J. & Pagani, L.S., (2008), « School engagement trajectories and their differential predictive relations to dropout », Journal of social issues, vol. 64, no 1, p. 24.
Langevin, L. (1994). « L'abandon scolaire, on ne naît pas décrocheur ! » Théories et pratiques dans l'enseignement, Montréal, Les Éditions Logiques.
Navarro, M. & Pain, J. (1993), « Le chef d'établissement scolaire : une culture du paradoxe », Recherche et formation, n°14, pp.83-90.
Pain Jacques (2012). « Déscolariser le décrochage ». In Gilles Jean-Luc, Potvin Pierre & Tièche Christinat Chantal (dir.). Les alliances éducatives pour lutter contre le décrochage scolaire. Berne : Peter Lang, p. 193-205.
Potvin, P. et Pinard, R. (2012). « Deux grandes approches au Québec en prévention du décrochage scolaire : l'approche scolaire et l'approche communautaire ». In Gilles Jean-Luc, Potvin Pierre & Tièche-Christinat Chantal (dir.). Les alliances éducatives pour lutter contre le décrochage scolaire. Bern : Peter Lang. 129–147