4-7 juil. 2016 Mons (Belgique)
a quoi servent les apprentissages acquis en prison lorsque les personnes détenues sont libérées ?
Régis Garrigues  1@  
1 : Garrigues
Aix Marseille Université

Comprendre :

Cette recherche s'origine des discussions entre formateurs. Nous pensions qu'il fallait mieux comprendre les stagiaires placés sous mains de justice, pour mieux les accueillir, mieux les « soutenir » au sens winnicottien du terme.

Évaluer :

Notre malaise venait de l'écart que nous constations entre les apprentissages fait en prison par les stagiaires et leurs performances accomplies en centre de formation. D'autre part, nous constations aussi que certains stagiaires en fin de parcours ETAPS, quittaient le centre de formation en n'ayant toujours pas la capacité d'utiliser, sauf de manière minimale, les apprentissages acquis en détention ou en centre de formation.

Il existe un risque de récidive d'actes de plus en plus violents ou de déshérence grave ou de radicalisation.

Il s'agissait pour nous de comprendre et d'évaluer les besoins des stagiaires, leurs difficultés, les contradictions de certains stagiaires, qui ont passé plusieurs années en prison pour qu'ils évoluent vers une employabilité nécessaire à une insertion dans la société.

Proposer :

Le repérage des facteurs d'empêchement à l'utilisation des apprentissages étant fait, il nous a fallu proposer des solutions de remédiation. Mais, déjà, voir que la souffrance psychique est là, qu'elle est sous tendue par une économie et que cette souffrance demande pour être entendue et comprise, des outils nouveaux, des modes de pensée nouveaux. Les recherches de W. D. Winnicott (1973) écrites dans  Jeux et réalité. L'espace potentiel, sont des pistes riches de possibilités. L'utilisation par les stagiaires de grilles d'auto-évaluation écrites est un premier pas qui permet au stagiaire de suivre son évolution.

L'auteur essaie de démontrer à l'aide d'entretiens effectués avec des personnes en cours de libération que les apprentissages en prison servent à maintenir ou à construire un narcissisme vivable pour le sujet et que libérée, la personne détenue, soit ne se souvient plus, soit refuse d'utiliser ses connaissances. Il semblerait que cela soit du à ce que les connaissances acquises en détention servent, une fois dehors, d'étais au narcissisme du sujet et qu'elles ne puissent plus servir ce pour quoi elles ont été acquises.

Dans notre pratique de formation, il n'est pas rare de rencontrer des stagiaires qui ont effectué, en milieu carcéral, un an ou deux ans de formation et qui se trouvent en fin de parcours carcéral ou en statut de peine aménagée, dans l'incapacité d'exercer le métier pour lequel ils se sont formés.

Nous avons voulu interroger cette incapacité d'exercer un métier, d'utiliser leurs connaissances, appris en milieu carcéral, alors que la personne détenue, une fois libre, est en situation de réinsertion dans la société.

Les entretiens se sont déroulés en établissement pénal, en centre de formation.

Nous avons traité le corpus de données recueillies de façon psychanalytique, ce qui n'est pas de la psychanalyse, écouter, privilégier la réalité psychique, le monde intérieur et contenir sans interpréter.

Notre hypothèse est celle-ci : les apprentissages en prison servent à colmater les atteintes à l'intégrité narcissique du sujet.

Ces atteintes à l'identité narcissique sont la conséquence, à l'intérieur de la détention comme à l'extérieur, d'un sentiment de honte, d'un sentiment de culpabilité, d'un traumatisme primaire.

Une des manières de penser le traumatisme primaire c'est de le penser non pensé. Non représenté car dépassant les capacités du sujet, au moment du traumatisme, à penser, a représenter les faits et les affects liés. Le sujet répète dans le présent le traumatisme vécu faute de pouvoir l'éprouver, de pouvoir le penser (Winnicott, 1989).

Le sentiment de honte qui apparaît dans les entretiens des personnes détenues, tient à un sentiment de ne pas être à la bonne place, ou de ne pas être à la hauteur de ce que le sujet pense qu'il faudrait qu'il fasse pour y être.

Le sentiment de culpabilité diffère du sentiment de honte en ce que le jugement et la sanction qui tentent de réparer le délit ou le crime, acquittent la dette. Dans la honte, la dette n'est jamais éteinte. La culpabilité, définie juridiquement et sanctionnée, peut apaiser momentanément la sensation de mal être, le sentiment de culpabilité. Peu d'action apaise le feu et la terreur de la honte.

Le passage de la honte que rien n'efface, à la culpabilité, s'effectue par l'acte ou la sublimation (Freud, 1914). Dans les deux cas, la Loi, le jugement de tous, fait sortir le sujet de l'aliénation à l'autre.

Dans les entretiens, les personnes détenues parlent souvent de la honte lorsqu'elles sont dehors, c'est à dire avant leur incarcération ou après leur incarcération. Et de la culpabilité lorsqu'elles sont dedans, durant leur incarcération.

Le traumatisme primaire, la honte et la culpabilité pré oedipienne sont intimement liés. Le traumatisme engendre la répétition. La honte demande un contenant (Bion, 1967), la culpabilité, une punition (Rank, 1926) ce qui peut entraîner, selon la position psychique, le recours à l'acte (C. Balier, 1996) ou le passage à l'acte (Raoult, 2008).

Protégées et contenues par les hauts murs, momentanément ignorées du reste de la société, et du regard des ‘'gens'', certaines personnes détenues sortent de la répétition et apprennent.

En milieu carcéral la possibilité des apprentissages dépend de l'intensité de la pulsion sadique face à la pulsion épistémophilique. La pulsion épistémophilique permet au sujet d'explorer son environnement pour découvrir et puiser des éléments l'autorisant à donner du sens à sa souffrance (F. Guignard Begoin, 1981).

A la fin de la peine, dehors, les personnes détenues retrouvent ce qu'elles ont quitté quelques années auparavant. C'est à dire une absence de protection et de contenant. C'est alors que les connaissances acquises en détention peuvent servir de protection et de contenant. En détention, les apprentissages et le travail permettent de résister à l'abrasement de l'absence de liberté et de construire une identité narcissiquement vivable. Ces connaissances, ces acquis serviront, lorsque la personne détenue sera dehors, à maintenir l'identité narcissique vivable.

De ce fait, ces connaissances théoriques ou professionnelles ne pourront pas servir ce pourquoi elles ont été acquises, c'est à dire pour étudier ou travailler. Sauf s'il y a la possibilité d'un tuteur, ou d'une structure tutrice qui permettent de continuer à construire cette identité lors d'activités narcissiquement valorisante.

BION W. R. (1967) Réflexion faite.  Paris : PUF

GUIGNARD BEGOIN F. (1981) Pulsions sadiques et pulsion épistémophilique. In La curiosité en psychanalyse. SZTULMAN / FENELON. Privas

FREUD S. (1920) Au delà du principe de plaisir. Paris : PUF.

RANK O. (1926) La genèse du sentiment de culpabilité. « Conférence lue à la New York School of Social Work, à l'automne 1926 », Le Coq Héron 4/2006 (n°187), p.59-66 URL : www.cain.info/revue-le-coq-heron-2006-4-page-59.htm.

DOI : 10.3917/cohe.187.0059.

RAOULT P. A. (2008) Violence et passage à l'acte. Le journal des psychologues, 10/2008 (n°263), p.18-22. URL : www.cain.info/revue-le-journal-des-psychologues-2008-10-page-18.htm.

DOI : 10.3917/jdp.263.0018.

ROUSILLON R. (1999) Agonie, clivage et symbolisation. Paris : P.U.F.

WINNICOTT W. D. (1973) Jeux et réalité. L'espace potentiel. Paris : Gallimard



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