La communication propose une réflexion sur l'instrumentation du rapport de production des savoirs dans l'enseignement supérieur. Le dispositif méthodologique instrumenté recouvre à la fois le dépôt du journal de bord de l'étudiant sur une plate-forme d'apprentissage en ligne et l'accompagnement dans l'usage de cet outil par une équipe d'enseignants chercheurs. Il est mis en place dans le cadre d'une formation en alternance qui a la particularité d'accueillir des étudiants en apprentissage. Ces derniers sont recrutés par le Rectorat de Rennes et rattachés au service informatique académique chargé du développement des TIC en établissement scolaire. Ils sont également associés à une équipe de recherche mobilisée par le Rectorat pour comprendre les trajectoires d'appropriation du numérique au sein des dits « collèges préfigurateurs ». La professionnalisation des étudiants est donc double : ils se forment à la conduite de projet ainsi qu'aux pratiques de recherche.
L'expérimentation menée auprès des étudiants en Master 1 TEF (Technologies de l'enseignement et de la formation) à l'Université Rennes 2 en 2015/2016 vise à étudier la dimension créative du dispositif. Il s'agit d'observer les conditions d'élaboration d'un milieu dans lequel un groupe d'étudiants et d'enseignants chercheurs construisent des connaissances à partir du cadre imposé par l'institution (formation et évaluation) et les conditions scientifiques d'une recherche collective. Les étudiants sont amenés à partager en ligne avec les enseignants leur journal de bord et à échanger sur leurs observations de terrain, leurs pratiques et leur posture lors de séances formelles (temps d'enseignement) et informelles (pause méridienne) avec les pairs et l'équipe de recherche. Nos données recueillies émanent de ces échanges collectifs filmés et d'entretiens menés auprès de chaque étudiant.
Les premiers résultats soulignent que l'usage individuel du journal de bord intégré dans cette ingénierie coopérative permet non seulement de révéler et de construire un collectif d'échanges d'expériences et de pratiques mais surtout de modifier la place des étudiants qui s'autorisent à se positionner en tant qu'apprentis-chercheurs et à être source de connaissances pour tout le groupe. Ce milieu semble renforcer l'estime de soi (identité pour soi) des étudiants et la reconnaissance (identité pour autrui) par le collectif (Dubar, 2010). Aussi, le journal de bord et sa forme prescrite par les enseignants (Beaud et Weber, 2003) demeure un outil de cheminement réflexif et de “défouloir” individuel. Toutefois, l'intimité inhérente à l'outil se double d'un processus d'extimité (Tisseron, 2011) lorsqu'il est associé à une mise en visibilité collective et restreinte à des « autruis significatifs » (Mead, Quéré, et Cefaï, 2006) : les enseignants chercheurs de l'équipe et les pairs. Ainsi nous essaierons de montrer comment cette ingénierie coopérative permet d'une part aux étudiants de dépasser les usages prescrits d'un outil méthodologique et participe d'autre part à co-construire une démarche de recherche collective entre étudiants, entre étudiants et enseignants et entre enseignants.
Regard réflexif sur la question de recherche :
Cette expérimentation pose la question des possibles de la création dans un contrôle de l'activité étudiante : comment créer dans l'injonction ? Elle questionne également les conditions de sa généralisation : comment pérenniser une ingénierie coopérative toujours en construction ?
Références bibliographiques
Beaud, S., & Weber, F. (2003). Guide de l'enquête de terrain. Produire et analyser des données ethnographiques. Paris : La Découverte.
Dubar, C. (2010). La socialisation: Construction des identités sociales et professionnelles (4e édition revue et corrigée). Paris : Armand Colin.
Mead, G. H., Quéré, L., & Cefaï, D. (2006). L'esprit, le soi et la société. Paris : Presses universitaires de France.
Tisseron, S. (2011). Intimité et extimité. Communications, n° 88(1), 83‑91.