Le recours à la simulation, dans le champ de la santé et plus particulièrement en anesthésie-réanimation , correspond à une pratique relativement ancienne. Initialement il s'agit principalement d'entrainement à des gestes techniques cependant un grand nombre d'études montre que si l'anesthésie-réanimation connait des progrés considérables d'un point de vue technique, des erreurs persistent et 43% de ces erreurs sont dus à des dysfonctionnements dans les équipes, le facteur humain est ainsi au premier plan (Neyens, 2011). Nos travaux s'intéressent aux « compétences ou habiletés non techniques » en anesthésie réanimation, à développer pour optimiser la pratique dans les situations de crise. Si ces compétences ont été repérées par différents auteurs, les travailler par la simulation et les débriefer reste un enjeu fort. La didactique professionnelle a pour visée « l'analyse du travail en vue de la formation » (Pastré, 2011) et spécifie les buts du débriefing. Le champ de la didactique professionnelle nous paraît pertinent en termes de référence théorique car il permet « de prendre en compte l'ensemble des composants de la compétence professionnelle [...], d'analyser les déterminants de son développement et de proposer la conception de situations de formation » (Rogalski, 2004, p. 103). Et l'objectif de notre programme de recherche est bien de repérer les éléments qui fondent la professionnalisation et le développement professionnel des formateurs par l'élaboration projetée d'une formation de formateurs.

Cette recherche vise ainsi dans un premier temps à analyser l'activité de débriefing des formateurs lors de simulation en anesthésie-réanimation pour ensuite, à partir des résultats, améliorer les pratiques et co-construire un référentiel de formation de formateurs.

Le projet de recherche dans son ensemble a été validé par l'Institutional Review Board (IRB 00003888) du Comité d'Évaluation Éthique de l'Inserm Paris.

Notre intervention se centrera principalement sur des éléments non pensés en amont du projet et qui se sont avérés déterminants pour mener la recherche autour de la question : comment articuler acculturation, posture et place du chercheur face à un terrain relativement fermé ?

Nous aborderons, l'acculturation au terrain qui passe bien sûr par des connaissances mais surtout par un rapport aux acteurs parfois difficile à établir. Dans cette recherche, ce que nous n'avions pas anticipé c'est l'évolution progressive de notre posture, allant d'observateur périphérique à la quasi double posture de praticien-chercheur puisque aujourd'hui nous sommes intégré à l'équipe de formateurs dans une posture dehors/dedans non envisagée au départ. Nous nous sommes émancipés des clivages traditionnels chercheur/praticien, théorie/pratique, qui auraient pu faire obstacle au projet de recherche, par la construction progressive d'une relation de confiance avec les acteurs de terrain. Ce qui a permis des négociations inenvisageables au départ comme la co-évaluation des résultats et la co-construction d'un référentiel de formation et d'une démarche pédagogique. C'est ce rapport implication/distanciation qui sera interrogé, Le Grand (2006) parle d'implexité pour qualifier la notion de complexité des implications du chercheur. Cela renvoie également aux travaux de Morin (1990) autour de la pensée complexe associant l'interdépendance des éléments d'un système et le principe d'espace dialogique en vue du maintien de la dualité au sein du système.

Nous avons, dans une approche exploratoire et heuristique, réalisé et interprété 52 vidéos de débriefing post scénario de simulation en deux étapes et réalisé 16 entretiens d'auto confrontation simples avec les formateurs d'un institut de simulation en santé attaché à un Centre Hospitalier Universitaire. Cet institut est équipé de répliques de blocs opératoires et bénéficie de mannequin pilotés par informatique. Il s'agit donc de simulation pleine échelle.

Dans la première étape, l'analyse de contenu des vidéos exploratoires nous a permis d'élaborer des critères pour l'analyse des captation vidéos de la seconde étape. Pour construire les critères pour l'étude, nous avons observé les vidéos en relevant la présence ou non des conditions favorisant l'analyse de l'action (Pastré, 1999) : temps d'échanges et qualification des locuteurs. Un temps d'échange important et des échanges pluri-personnels permettent la conceptualisation de la situation sous sa forme pragmatique (Pastré, 2002).

Sur le plan quantitatif nous constatons une très grande variété de situations de débriefing avec des formateurs qui occupent un temps de parole important. Les discussions sur les compétences techniques prennent majoritairement le dessus sur les compétences non techniques. Des éléments qualitatifs permettent d'envisager une optimisation générale du dispositif. La démarche de recherche a amené les formateurs à s'interroger sur leurs pratiques, en particulier sur des axes d'amélioration pour créer les conditions de réflexivité chez les formés (s'adapter aux stratégies des formés, favoriser les interactions entre les formés, impliquer les observateurs, ...) ; pour harmoniser leurs pratiques (formation, concertation, ...) et repenser les contenus en termes d'objectifs.

Bibliographie

Le Grand. J.L. (2006). Implexité : implications et complexité. [En ligne] : http//www.barbier- rd.nom.fr/journal/article.php3 ?id-artice-656.

Morin, E. (1990). Introduction à la pensée complexe. Paris : Seuil.

Neyns, V. (2011). Les modalités du contrôle cognitif en situation dynamique : anticipation et gestion des dérives. Le cas de l'anesthésie. Thèse de doctorat en Psychologie. Toulouse : Université Toulouse 2.

Pastré, P. (1999). Travail et compétences : un point de vue de didacticien. Formation Emploi, 67, 109-125.

Pastré, P. (2002). L'analyse du travail en didactique professionnelle. Revue Française de Pédagogie, 138, 9-17.

Pastré, P. (2011). La didactique professionnelle. Paris : PUF.

Rogalski, J. (2004). La didactique professionnelle : une alternative aux approches de « cognition située » et « cognitiviste » en psychologie des acquisitions. Activités, 1 (2), 103-118.