4-7 juil. 2016 Mons (Belgique)
Rapport à l'école et perception de la réussite des collégiens d'Apatou de Guyane
Nicole Armoudon  1@  
1 : ARMOUDON
Université Paris Ouest Nanterre La Défense

Mon intérêt pour ce sujet trouve son origine de ma pratique professionnelle dans le champ de l'emploi et la formation, de ma rencontre avec la population des sites dits isolés (Maripasoula, Apaguy, Monfina, Apatou...), au cours de différents séjours personnels et de rencontres. En effet, mon travail de recherche, a pris sa source au confluent de rencontres et de questions de mon parcours professionnel, social et familial. Selon Callon et Latour (1991), «la recherche résulte d'une conjonction de la curiosité (intellectuelle) du chercheur et de ses intérêts (sociaux)». Si cette recherche part de questionnements de terrain, sans commanditaire direct, elle s'inscrit dans une démarche implicite de répondre à une question de société.

Mon travail s'est bâti à partir des travaux de Bernard Charlot sur la thématique du rapport au savoir. Au regard de mon parcours professionnel qui s'inscrit dans les champs de l'enseignement auprès de lycéens et de collégiens, de la formation et l'insertion professionnelle auprès de jeunes et d'adultes, mes premières interrogations naissent de la confrontation avec les différents publics avec l'envie de comprendre, de tirer au clair les désirs, les besoins et les attentes des élèves et de répondre à l'injonction institutionnelle de faire réussir les élèves.

Le cadre général de cette recherche se situe en Guyane spécifiquement dans la commune d'Apatou, située à l'ouest et qui partage sa frontière fluviale avec le Surinam (ancienne colonie hollandaise). A l'époque de la colonisation, dès la moitié du 17ème siècle les différentes formes de marronnage donneront naissance à 6 groupes dont 4 d'installeront sur les rives françaises. Ces groupes portent le nom générique de bushinengué.

Avant les années 70, ces populations considérées comme «indigènes» ou «tribales», selon la terminologie de l'époque étaient écartées du système politique, économique, social et éducatif. Elles étaient essentiellement régies par des règles coutumières.

Les différents rapports et les discours ambiants font état de l'échec scolaire important dans l'ouest guyanais. Le groupe bushinengué étant majoritaire dans l'ouest, le raccourci est vite emprunté, Bushinengue et échec scolaire entrent en résonnance. Après 40 ans de changement administratif et statutaire, dans un contexte de revendications identitaires et d'installation du dispositif d'intervenants en langue maternelle une question centrale se pose : qu'en est-il aujourd'hui de la scolarisation des jeunes bushinengué ? Par rapport à la commune d'Apatou : 

• comment les jeunes bushinengué habitant Apatou, appréhendent le système scolaire ? 

Le parti pris dans cette présentation est de traiter de la question de la réussite qui sera interrogée à travers le rapport à l'école, à travers ses missions, par la façon dont le sujet apprenant comprend et se construit dans le système scolaire. S'intéresser au rapport à l'école interpelle la notion de son utilité et de la valeur qui lui est accordée. La définition donnée par Leblois (2005) indique que : «La réussite scolaire peut être comprise comme étant l'acquisition par la personne d'une compréhension de son environnement physique et humain». Elle renvoie à la question du sens et suppose d'acquérir des savoirs et apprentissages qui permettent de comprendre et d'agir sur son environnement. Cette question de la réussite s'intègre au rapport à l'école. Selon De Leonardis (2004), pour donner sens à son expérience, chaque élève, est pris dans une certaine logique institutionnelle. Il va déployer son propre rapport à l'école, dans une liaison singulière entre lui-même et le système éducatif. Ainsi quelles sont les attentes de l'élève à l'égard de l'école et quelles significations il va lui accorder ? 

Quel sens subjectif les élèves attribuent-ils au savoir et aux valeurs véhiculés par l'école ? Que représente pour eux le fait d'aller au collège et d'y apprendre des choses ? Notre propos s'intéressera particulièrement aux conceptions de la réussite auprès des collégiens de la commune d'Apatou.

Cette recherche vise à comprendre, comment les collégiens à travers leur rapport à l'école se construisent, se projettent et cultivent la réussite dans l'espace scolaire.Ce travail permettra de documenter les stratégies qu'ils adoptent dans leur cheminement scolaire et de dégager des éléments de compréhension plus globaux de la réussite et des interventions à mener.

La démarche choisie est inductive et ethnosociologique. Elle «consiste à enquêter sur un fragment de la réalité sociale-historique dont on ne sait pas grand-chose à priori» (Bertaux 2005). Le recueil de données s'est organisé par une démarche mixte, par la combinaison de trois outils d'analyse : questionnaire auprès de 451 élèves, observation dans le collège et 30 entretiens semi-directifs .

L'analyse des résultats traitera de l'Appropriation des missions de l'école et enfin de la perception de la réussite par ces derniers.

Les collégiens démontrent une attitude positive envers l'institution scolaire. Les élèves ont exprimé 13 missions classés par ordre d'importance, qui leurs paraissent essentielles à acquérir ou à exercer au sein de l'école. 

Par ordre d'importance, ils classent les missions d'instruction, de socialisation, d'éducation puis de formation. Au niveau de l'instruction, les matières citées comme étant les plus importantes sont nettement le français et les mathématiques.

Pour la question de la socialisation, le respect est énoncé comme étant important. Il exprime une demande dans laquelle ils aspirent à une reconnaissance de leur valeur et le respect d'eux-mêmes. Ils revendiquent davantage que leurs ainés, un traitement égalitaire à l'école.

Concernant la perception de la réussite, les collégiens se placent dans une logique de réussite qui est une «garantie d'avenir pour permettre l'accès à un emploi et à un bon salaire». L'école aide à préparer l'avenir et plus tard obtenir un emploi. Dans la perception de la réussite vient se greffer des croyances magico-religieuses et la chance. Les croyances magico-religieuses peuvent la freiner par peur de s'attirer la jalousie et/ou la colère des divinités.

CONCLUSION

Ces résultats attirent l'attention sur l'importance de sensibiliser tous les élèves sur leur rôle dans l'appropriation du savoir et leur mobilisation à l'école. Elle met en exergue les grands défis du système éducatif et fournit une clé pour une lecture en positif du parcours du sujet apprenant pris dans l'obligation d'apprendre. 

De plus, l'école devient un enjeu de cohésion sociale dans une société en pleine construction. Dans cette école, les collégiens ont développé une attitude réceptive et un lien de confiance envers elle. Le rapport à l'école se conjugue dans une projection à travers un positionnement professionnel (un métier) et social (famille, logement).

BIBLIOGRAPHIE

Charlot, B. (1997). Du rapport au savoir. Éléments pour une théorie. Paris : Anthropos.

Callon M et Latour B (1991), La science telle qu'elle se fait. Paris. La découverte

Leblois, L. (2005). La réussite scolaire - Comprendre et mieux intervenir. Québec,Québec : CRIRES- Les Presses de l'Université Laval.

Prêteur, Y., et de Léonardis, M. (2006). Précarités et scolarités. Empan 60, 101-107.


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