A partir d'un travail monographique réalisé auprès de jeunes de la rue vivant dans un squat d'une ville française nous avons voulu identifier les spécificités biographiques qui les inclinaient à s'engager dans un mode de vie précaire et marginal. Nommés « Punks à chien » par le sens commun, « jeunes en errance » par le travail social et certains sociologues, la population enquêtée se caractérise par son mode de vie nomade, son affiliation à une culture mêlant des références punks et techno travelling. Il s'agit de ces jeunes accompagnés de chien qui mendient dans nos rues qui vivent en squat, en tente ou en camion.
Notre démarche relativement inductive, ancrée et participative (Glaser, Strauss, 2010 ; Olivier De Sardan) nous a conduit à partir sur le terrain avec deux interrogations très simples : Qui sont ces jeunes ? Pourquoi vivent-ils dans cet univers ?
Par le biais d'une observation participante implicante réalisée sur deux périodes de 6 mois auprès d'un groupe de zonards, de 19 récits de vie, nous nous sommes aperçus que la seule dimension diachronique de la trajectoire que nous avions étudiée en utilisant le concept de carrière (Becker, 1985) et celui de socialisation plurielle (Lahire, 2001) ne suffisait pas à expliquer leur engagement déviant. Une logique synchronique s'y ajoutait par le biais de stigmatisation, d'assignation identitaire qui potentialisées l'engagement initial (Goffman, 1973 ; Streiff-Fénart, 1998). Ainsi nous avons dû nous inspirer pour nos analyses du concept d'ethnicité pour comprendre comment des interactions quotidiennes, avec des commerçants du quartier de mendicité où les jeunes se retrouvaient : La Zone, avec des travailleurs sociaux, des normaux (au sens de Goffman), participaient de la construction identitaire zonarde (Barth, 1998). Nous avons alors observé et entendu en entretien des commerçants, des travailleurs sociaux. Pour aller plus loin dans l'investigation des représentations hégémoniques plaquées sur les zonards nous avons aussi étudié la réglementation locale, les lois qui leur étaient destinées, des rapports ainsi que la presse via l'AFP. Tout en observant grâce au concept d'ethnicité les logiques de domination, de stigmatisation, de catégorisation sociale, d'assignation identitaire et de réaction des zonards à celles-ci, nous avons décidé de l'aménager en utilisant le néologisme de « subculturalité » pour s'éloigner de la dimension ethnique, de l'origine géographique supposée comme déterminante de la catégorisation sociale (Goffman, 1973). Ici, elle ne se produit pas en référence avec une origine venue d'ailleurs, une origine ethnique supposée mais elle souffre du même essentialisme car elle suppose que les acteurs proviennent de familles similaires socialement engendrant une culture juvénile décadente, qu'ils possèdent tous les mêmes caractéristiques. Mon propos portera principalement sur le rôle du travail social dans l'assignation identitaire zonarde et sur ces répercussions. Un regard historique sur l'évolution de la prise en charge sociale des jeunes dits « en errance » et son influence sur l'identité de ces jeunes sera donc porté. Nous nous demanderons alors si la définition de la jeunesse en errance attribuée par le travail social a eu des conséquences sur la manière dont les acteurs se définissent eux-mêmes et sur leur manière de se positionner dans la société ? Nous verrons qu'un glissement de secteur d'intervention de l'enfance en danger à l'addictologie s'est effectué et qu'il n'est pas étranger à certaines représentations pathologisantes, misérabilistes attribuées aux zonards. Nous poursuivrons en revenant sur la naissance de l'intérêt scientifique porté aux jeunes zonards qui joue aussi un rôle indirect en tant que certains travaux nourrissent avec force ces représentations du travail social (Chobeaux, 1996 ; Déquiré, Jovelin, 2007). Puis il sera question des interactions entre intervenants sociaux et Zonards et de leurs rôles dans l'identité sociale attribuée aux zonards (Goffman, 1974).
Barth, F. (1995). Les groupes ethniques te leurs frontières. Dans J. Pourignat, & Ph. Streiff-Fénart, Théories de l'ethnicité (pp. 154-248). Paris: PUF.
Becker, H. S. (1985). Outsiders. (B. Chapoulie, Trad.) Paris: Métailié.
Strauss, A., & Glaser, B. (2010). The discovery of grounded theory : strategies for qualitative research. Paris: Armand Colin.
Chobeaux, F. (1996). Les nomades du vide. Paris: La Découverte.
Dequiré, A., & Jovelin. E. (2007). Des jeunes dans la tourmente. Les jeunes sans domicile fixe à l'épreuve de la rue. Pensée plurielle , 1 (14), 125-147.
Goffman, E. (1974). Les rites d'interaction. (A. Kihm, Trad.) Paris: les éditions de Minuit.
Goffman, E. (1975). Stigmate : Les usages sociaux des handicaps. (A. Kihm, Trad.) Paris: Les éditions de minuit.
Lahire, B. (2001). L'homme pluriel : les ressorts de l'action. Paris: Hachette Littteratures.
Olivier De Sardan, J. P. De l'amalgame entre analyse-système, recherche participative et recherche-action, et de quelques problèmes autour de chacun de ces termes, conférence en ligne, http://horizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers11-03/010009948.pdf
Pour le questionnement Proposer :
Durant la présentation nous montrerons comme le recours aux enquêtés en tant que participant actif à la recherche permet d'objectiver des paradigmes aussi bien académiques que sociétaux dans lesquels nous pouvons être pris.