4-7 juil. 2016 Mons (Belgique)
Le visage : un instrument de l'action éducative ?
Henri Louis Go  1@  
1 : Laboratoire Inter-universitaire des Sciences de l'Éducation et de la Communication  (LISEC)  -  Site web
Université de Lorraine : EA2310
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Pour tout professeur, le corps est un instrument dont il joue dans sa pratique professionnelle, à commencer par l'usage qu'il fait de sa voix. Qu'il y ait un art de faire professoral, c'est ce qui est communément admis, et il existe un certain nombre de phénomènes non-verbaux relevant de la relation didactique. Le contexte de cette étude tient au fait que le manque de connaissance des codes de la communication non-verbale doit conduire la didactique à s'intéresser à cette part moins bien objectivée de diverses techniques professorales ordianirement pratiquées. Il est admis en anthropologie de la communication que même lorsqu'un sujet cesse de parler, il continue à communiquer par le langage du corps, c'est ce que soulignent également certains travaux d'ergonomie sur l'activité enseignante. S'appuyant sur une approche proxémique, Forest (2006) a montré que ces phénomènes peuvent avoir une importance décisive dans les systèmes d'action conjointe du professeur et des élèves, non seulement pour une gestion affective de la relation mais aussi dans les processus d'attention conjointe aux savoirs enseignés (Forest, 2012, p. 279). À partir d'enquêtes empiriques, il s'agit de mettre au point des descripteurs permettant de comprendre les précieuses techniques professionnelles utilisées dans l'organisation de l'étude pour les élèves.

Cette contribution se propose d'étudier certaines micro-pratiques d'éducation scolaire très spécifiques ne portant pas de nom mais qui relèvent de la proxémique : il s'agit de décrire l'activité non-verbale du professeur qui produit des gestes que l'on considérait autrefois en pédagogie comme le « mimo-gestuel ». La question est de comprendre de quelles façons des professeurs expérimentés, lorsqu'ils enseignent, jouent de leur visage comme d'un instrument. Dans les entretiens mené avec quelques professeurs, ces techniques n'entraient pas pour eux dans une construction délibérée d'un jeu didactique et ne figuraient pas spontanément, lors desdits entretiens, dans leur épistémologie pratique[1] (Sensevy & Mercier, 2007). Ces professeurs minimisent notoirement le fait de jouer de leur visage, en considérant qu'il s'agit là d'un geste professionnel très banal. Le projet est donc de convertir un tel geste en objet de science : de quoi le professeur instruit-il les élèves ? C'est la question qui se posait en observant des professeurs jouer du visage.

Dans un contexte institutionnel (tel moment de la journée de classe), le professeur s'adresse à l'élève en lui montrant son visage et en l'écoutant ou en l'accueillant, par exemple. D'abord, cette attitude du professeur déclenche chez l'élève une activité qui correspond au système d'attente qu'il a intériorisé. Mais au sujet de quoi ? À propos de quel objet ?

La conjecture est qu'il s'agit de jouer à quelque chose qui serait l'ostension, du côté du professeur, d'un objet culturel, et l'assimilation, du côté de l'élève, de ce même objet. Mais quel est l'objet culturel en question ?

Dans une formule extraordinaire et très connue, Arendt dit que le professeur se porte responsable d'un monde. Je conjecture que dans la sémiose du jeu du visage, c'est exactement ce qui se passe : le professeur se porte responsable, en acte, au moment où il le fait, d'un monde. Quel est ce monde ? C'est précisément l'objet culturel : un monde que l'on pourrait certes qualifier de diverses manières, et que nous pourrions ici qualifier, au sens philosophique, d'amical[2] (c'est un terme choisi par Dewey). L'élève apprend à recevoir, dans la personne même du professeur tel qu'il se tient devant lui et en tant que professeur, ce monde là (plutôt qu'un autre).

L'enquête exploratoire s'appuie sur l'observation d'une dizaine de professeurs et de films d'étude, mais cette contribution étudie plus spécialement les pratiques de quatre professeures[3]. L'objectif de cette enquête est de passer d'un stade descriptif de l'analyse de l'action des professeurs à un stade normatif concernant des pratiques engageant le sens du métier professoral. Cette étude est menée dans le cadre de la Théorie de l'Action Conjointe en Didactique (Sensevy, 2011, pp. 17-183).

 

 

 

Références

 

Forest, D. (2006). Analyse proxémique d'interactions didactiques. Thèse de doctorat, université Rennes 2. En ligne : http://www.youscribe.com/catalogue/rapports-et-theses/savoirs/sciences-humaines-et-sociales/analyse-proxemique-d-interactions-didactiques-1537941

Forest, D. (2012). L'attention conjointe dans le jeu didactique : une approche proxémique (279-299). In B. Gruson, D. Forest & M. Loquet (Eds.), Jeux de savoirs, études de l'action conjointe en didactique. Rennes : PUR.

Sensevy, G. & Mercier, A. (2007). Agir ensemble. L'action didactique conjointe du professeur et des élèves. Rennes : PUR.

Sensevy, G. (2011). Le sens du savoir. Bruxelles : De Boeck.


[1] C'est une conception privée de l'enseignement-apprentissage propre au professeur, conception partiellement implicite qui a pris naissance à même son activité pratique, s'est stabilisée en un ensemble de croyances et qui l'oriente.

[2] Dewey (1939) fait l'éloge des pratiques de coopération amicale en démocratie (cf : Creative Democracy. The Task before us. In : John Dewey and the Promise of America, Progressive Education Booklet n°14, Colombus, American Education Press).

[3] Ces professeures m'ont autorisé à rendre public ce compte rendu d'enquête.


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