Parmi les enjeux sociaux majeurs, les questions de l'individualisation des parcours et de l'accompagnement de chacun dans son projet de vie traversent et transforment les rapports entre les professionnels et les publics concernés. D'un point de vue sociétal, la prise en compte de la personne au plan biographique semble prendre le pas sur la reconnaissance de l'individu social (Gauchet, 2005), pour le bien de chacun disent certains, pour le malheur de tous avancent d'autres. Le chercheur qui s'engage dans l'étude de ce fait social dans le champ éducatif se heurte rapidement à la question de la relation entre la nature du métier d'enseignant (son histoire, ses valeurs, ses composantes disciplinaires et organisationnelles) et la prise en compte des évolutions sociétales dans les politiques éducatives (Lessard et Carpentier, 2015).

La première question à laquelle nous tenterons de répondre est la suivante : enseigner et accompagner (au sens de Paul, 2004) constituent-ils des paradigmes professionnels irréductibles l'un à l'autre ou assiste-t-on à une évolution contrainte du paradigme d'enseignement ? Les points de vue de la recherche, de l'institution et des acteurs seront alors croisés. Sur un terrain marqué par cette interrogation, les « allant-de-soi » s'effacent rapidement pour laisser place à une empirie mouvante marquée par l'incertitude.

Notre enquête ethnographique auprès de deux collectifs d'enseignants enjoints de mettre en œuvre les dispositifs d'accompagnement individualisé pour tous les élèves dans un lycée agricole a montré toute la difficulté de rester « au contact » de tous et notamment de ceux qui y adhèrent peu ou pas et de ceux qui pensent avoir réussi l'équilibre entre le penser et le faire. Cette contribution s'appuiera sur les éléments empiriques consignés dans notre cahier de recherche entre décembre 2012 et octobre 2013.

D'abord conscients du besoin d'un regard extérieur sur leurs pratiques collectives de mise en œuvre des dispositifs prescrits et pour certains d'une clarification sur leur positionnement par rapport au principe même de l'individualisation, ces enseignants ont, en cours de recherche, sollicité le chercheur pour un travail collaboratif, une enquête auprès des élèves. Nous nous efforcerons d'expliquer comment le montage à deux voix (chercheur et acteurs) d'un questionnaire destiné aux élèves, l'accord construit autour de la tenue de focus-group d'élèves pris en charge par le chercheur et la restitution des résultats sous forme de rapports écrits et oraux n'a pas toujours permis aux acteurs, selon notamment la relation qu'ils déclaraient entretenir avec les enjeux des dispositifs, d'étayer ou de renouveler leurs pratiques professionnelles, effet pourtant escompté de la collaboration chercheur-enseignants.

Gauchet, M. (2005). La condition historique. Paris : Gallimard.

Lessard, C & Carpentier, A. (2015). Politiques éducatives. La mise en œuvre. Paris : PUF.

Paul, M. (2004). L'accompagnement : une posture professionnelle spécifique. Paris : L'Harmattan.