L'idée que la composition d'un établissement scolaire puisse conditionner les résultats des élèves n'est pas nouvelle. En effet, plusieurs recherches ont démontrées que les élèves scolarisés dans des écoles accueillant une large proportion d'élèves issus de milieu socio-économiquement défavorisés ont tendance à obtenir de moins bon résultats que ceux scolarisés dans des écoles plus favorisées (Condron 2009; De Fraine, Van Damme, & Onghena 2002; Dumay & Dupriez 2008; Duru-Bellat, Le Bastard-Landrier, & Piquée 2004). Ce phénomène, connu sous le nom d'effet de composition, se définit comme l'effet des caractéristiques agrégées de la population des établissements scolaires, après contrôle des caractéristiques individuelles des élèves (Dumay & Dupriez, 2008). Bien que les chercheurs se soient investis dans la réflexion autour des problèmes méthodologiques liés à l'opérationnalisation de l'effet de composition, la question des mécanismes sous-jacents permettant d'expliquer cet effet est, à notre connaissance, plus rarement étudiée. En effet, aucun consensus clair ne semble s'être dégagé quant aux conditions d'émergence d'un tel effet.
L'objectif général de cette présentation est d'acquérir une meilleure compréhension de la relation entre la composition socio-économique des écoles et les performances des élèves. Après vérification de l'existence d'un effet de composition dans nos données, nous étudierons les mécanismes par lesquels la composition d'une école peut avoir un impact sur l'apprentissage de ses élèves. Pour ce faire, il s'agira de dépasser l'explication liée à l'effet de pairs (l'influence que les élèves peuvent avoir les uns sur les autres) pour étudier l'impact potentiel des profils différenciés des enseignants sur les performances scolaires. Plus précisément, il s'agira de tester l'hypothèse selon laquelle le lien entre la composition de l'école et le rendement scolaire des élèves est, au moins partiellement, médié par les caractéristiques de l'équipe pédagogique. Nous focaliserons notre analyse sur une caractéristique particulière: le Sentiment d'Efficacité Personnel (SEP) des enseignants. Ce concept fait référence à la croyance que les enseignants se font de leur capacité à accomplir avec succès les tâches liées à leur mission d'enseignement (Tschannen-Moran et al. 1998). Les croyances qu'ont les enseignants de leur capacités s'avèrent avoir une influence majeure sur une multitude de variables liées au rendement scolaire. Le SEP est, par exemple, associé aux comportements et attitudes de l'enseignant dans la classe. Les enseignants ayant un fort SEP ont tendance à être plus ouverts aux pratiques pédagogiques novatrices (Guskey, 1988), à démontrer une plus grande capacité à planifier les activités d'enseignement (Allinder, 1994) et à ne pas baisser les bras face aux élèves en difficulté (Bandura, 1997). Le SEP des enseignants a aussi des répercussions positives sur la réussite des élèves (Armor et al., 1976; Tschannen-Moran et al., 1998; Hoy & Spero, 2005).
Etant confrontés à des conditions d'enseignement difficiles, les équipes pédagogiques des écoles défavorisées sont probablement susceptibles d'avoir plus de doutes quant à leur compétences pédagogiques, et donc, quant à leur capacité à faire progresser leurs élèves. Ce faible SEP risque, à son tour, d'avoir des répercussions négatives sur la réussite des élèves. L'effet de composition ne pourrait donc pas être expliqué comme étant uniquement la conséquence d'un effet de pairs mais plutôt comme un élément au sein d'une chaine de causalité dans laquelle le SEP des enseignants joue un rôle essentiel.
Cette hypothèse sera testée sur base de données récoltées lors d'une vaste enquête organisée en 2014-2015 au sein des 104 écoles de Belgique francophone. Les élèves de 2e secondaire (n= 11.200) ont répondu à un test de mathématiques en début et en fin d'année scolaire et à un questionnaire sociodémographique. Leurs enseignants de mathématiques (n=299) ont, quant à eux, répondu à un questionnaire mesurant diverses attitudes, dont leur SEP.
L'effet médiateur du SEP des enseignants sera testé sur base de la procédure en trois étapes de Baron et Kenny (1986). La première étape aura pour but de vérifier que la composition socio-économique des écoles prédit de manière significative les performances scolaires des élèves. La deuxième étape testera la relation entre la composition socio-économique des écoles et le SEP des enseignants. Enfin, la troisième étape consistera à tester la relation entre les performances des élèves et la composition socio-économique de l'école en incluant la variable médiatrice de SEP des enseignants. Lorsque la composition scolaire et le SEP des enseignants sont simultanément introduits dans le modèle, nous nous attendons à une réduction significative de l'effet de composition. Vu que les données présentent une structure hiérarchisée, les trois étapes seront testées à l'aide d'une analyse multiniveau.
Les résultats seront discutés dans le cadre des théories sur l'effet de composition. De manière plus générale, cet article se proposera de mener une réflexion sur la manière dont l'école et plus particulièrement les équipes pédagogiques peuvent réduire les inégalités scolaires liées à l'origine sociale des élèves.
Références:
Armor, D., Conroy-Oseguera, P., Cox, M., King, N., McDonnell, L., Pascal, A., Pauly, E., & Zellman, G. (1976). Analysis of the school preferred reading programs in selected Los Angeles minority schools, REPORT NO. R-2007-LAUSD. Santa Monica, CA: Rand Corporation (ERIC Document Reproduction Service No. 130 243).
Bandura, A. (1997). Self-efficacy: The exercise of control. New York: W. H. Freeman.
Baron, R. M., & Kenny, D. A. (1986). The moderator-mediator variable distinction in social psychological research: conceptual, strategic, and statistical considerations. Journal of Personality and Social Psychology, 51, 1173e1182.
De Fraine, B., Van Damme, J., &Onghena, P. (2002).Accountability of Schools and Teachers: What Should Be Taken into Account? European Educational Research Journal, 1(3), 403‑428.
Dumay, X., & Dupriez, V. (2008). Does the school composition effect matter? Evidence from Belgian data. British Journal of Educational Studies, 56(4), 440‑477.
Duru-Bellat, M., Le Bastard-Landrier, S., &Piquée, C. (2004).Tonalité sociale du contexte et expérience scolaire des élèves au lycée et à l'école primaire. Revue française de sociologie, 45(3), 441‑468.
Guskey, T. R. (1988). Teacher efficacy, self-concept, and attitudes toward the implementation of instructional innovation. Teaching and teacher education, 4(1), 63-69.
Hoy, A. W., & Spero, R. B. (2005). Changes in teacher efficacy during the early years of teaching: A comparison of four measures. Teaching and teacher education, 21(4), 343-356.
Knoblauch, D., & A. Woolfolk Hoy. 2008. “Maybe I can teach those kids.” The influence of contextual factors on student teachers' efficacy beliefs. Teaching and Teacher Education 24, no. 1: 166-179.
Rumberger, R. W & Palardy G. J. (2005). Does the segregation still matter ? The impact of student composition on academic achievement in high school. Teachers College Record, 107(9), 1999–2045.
Tschannen-Moran, M., Hoy, A. W., & Hoy, W. K. (1998). Teacher efficacy: Its meaning and measure. Review of educational research, 68(2), 202-248.