4-7 juil. 2016 Mons (Belgique)
Former les doctorant(e)s au pluralisme scientifique : analyser leurs pratiques professionnelles permet de révéler leurs choix éthiques et épistémologiques.
Patrick Steyaert  1@  
1 : INRA Sciences en Société  (INRA SenS)  -  Site web
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L'activité scientifique est soumise à une double injonction d'excellence académique et de plus grande pertinence sociale. Pour de jeunes chercheurs en thèse, il convient d'acquérir, sur un terme de trois ans, les compétences et pratiques correspondant aux codes et normes de LA bonne science. Il convient aussi de pouvoir justifier en quoi les questions posées et les connaissances produites sont en phase avec des demandes sociétales et peuvent être ou devenir utiles.

Cette double injonction est paradoxale. Car la première conduit à renforcer l'exercice d'une pratique scientifique s'inscrivant dans le mode 1 de Nowotny et al. (2001), d'une science disciplinaire et disciplinée. Alors que la seconde invite à interroger ces modes de fabrication des connaissances et à adopter un mode 2 (Nowotny et al.,2001) par la mise en œuvre de recherches plus inter et transdisciplinaires : évolution des frontières des disciplines, construction d'objet hybrides (Hubert et Bonnemaire, 2000), développement de recherches dites participatives, coproduction de savoirs, etc.

Dans un tel contexte de « pluralisme scientifique » et d'appel pour des sciences plus impliquées (Wynne et Felt, 2007 ; Coutellec, 2015), il est souvent difficile pour de jeunes chercheurs de se situer et d'opérer des choix argumentés et justifiés, sur le double plan académique et de pertinence sociale. Nous avons conçu un dispositif de formation qui permet d'explorer et de comprendre les bases épistémologiques et éthiques des choix effectués et leurs conséquences en termes de mobilisation des connaissances pour l'action.

Ce dispositif est l'objet de cette étude. Il vise à mieux analyser et comprendre (i) pourquoi et comment les doctorant(e)s ont construit leur problématique et leurs questions scientifiques, (ii) pourquoi et sous l'effet de quoi ces questions ont évolué ; (iii) quelles pratiques et méthodes ont été mises en œuvre pour y répondre et enfin (iv) quelles conséquences ces divers choix ont sur le rapport que le jeune chercheur construit au monde de l'action et de la décision.

Les « acteurs »de ce dispositif mis en œuvre depuis dix ans sont l'ensemble des doctorant(e)s du département SAD (Sciences pour l'Action et la Décision) de l'INRA (Institut National de la Recherche Agronomique). Ceux-ci relèvent de nombreuses disciplines des sciences de la nature, des techniques, et humaines et sociales. Ils exercent leur activité dans des configurations souvent inter et/ou transdisciplinaires. Ils inscrivent leurs recherches dans le traitement de divers problèmes vastes et complexes tels que par exemple les transitions agro-écologiques, l'influence du changement climatique sur l'agriculture, la préservation de l'environnement, etc. Cette grande diversité de disciplines, de thématiques et de rapports à l'action offre une grande richesse de situations utile à la conduite d'un travail réflexif mais aussi pour mettre à l'épreuve les concepts et notions mobilisés dans cet exercice.

Le dispositif qui concerne des doctorants de première, deuxième et troisième année prend en effet appui sur l'expérience professionnelle de ces derniers pour mener un travail d'analyse et de compréhension de leur activité et de ses évolutions. Trois temps successifs sont ainsi proposés : récit, formalisation de la trajectoire et posture de recherche. Ces trois temps et ce qu'ils permettent de produire seront illustrés, dans la communication, par des cas types contrastés.

L'analyse de ces cas permet de discuter des notions d'autonomie, de responsabilité et d'éthique professionnelle de jeunes chercheurs en thèse. Nous montrons que l'autonomie résulte surtout d'apprentissages qui mettent en cohérence des pratiques, des finalités et des valeurs ; que la responsabilité consiste à clarifier les raisons des choix et à en comprendre les conséquences en termes de rapport à l'action ; que l'éthique professionnelle s'écarte de la mise en conformité avec une déontologie de la profession en remettant au cœur du processus de recherche le « sujet » chercheur et le sens qu'il veut donner à son activité.

Bibliographie

Bawden, RJ., 2000. Valuing the Epistemic in the Search for Betterment. Cybernetics and Human Knowing 7: 5-25.

Coutellec L., 2015. La science au pluriel. Essai d'épistémologie pour des sciences impliquées. Versailles : Quae. 

Hubert B. & J. Bonnemaire. 2000. La construction des objets dans la recherche interdisciplinaire finalisée : de nouvelles exigences pour l'évaluation. Natures, Sciences, Sociétés, 8(3): 5-19.

Nowotny, H., P. Scott & M. Gibbons. 2001. Re-thinking Science: Knowledge and the Public in an Age of Uncertainty. Polity Press.

Stengers, I. (2006). La vierge et le neutrino. Les scientifiques dans la tourmente. Paris: Seuil.

Wynne, B. and U. Felt, 2007. Taking the European Knowledge Society Seriously. EUR 22700, European Commission, Luxembourg, ISBN - 92-79-04826-5

 


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