4-7 juil. 2016 Mons (Belgique)
Ce que disent les élèves du primaire du « bon » et du « mauvais » instituteur à Libreville. Analyse sociologique d'un discours.
Hermine Matari  1@  
1 : chaire unesco en sciences sociales  (Chaire unesco SS)
BP 17039 Libreville -  Gabon

En Europe et en Occident, la question des jugements scolaire et professoral a fait couler beaucoup d'encre, nous avons pour preuve les travaux de : R. Sirota (1988), P. Bressoux (1994), G. Felouzis (1994), C. Montandon (1995), P. Perrenoud (1995), Q. Choquet et F. Hérant(1996), F. Dubet et D. Martuccelli (1996), P. Rivano et M. Bru (2001), C. Loroy-Audouin et C. Piquét (2004), A. Jarlégan et Tazouti Youssef (2007) et bien d'autres. Ces recherches mettent l'accent sur les mécanismes mis en œuvre dans l'univers scolaire, à savoir la construction des expériences scolaire et professorale, le rapport au savoir et les jugements scolaires et professoraux, etc.

Cette sociologie tournée vers les acteurs du système éducatif émerge à partir du constat de l'absence de travaux sur les élèves et les enseignants observé autour des années 60-80 en France. Comme le pense Dubet, les élèves et les enseignants n'avaient pas véritablement de place dans un projet intellectuel les considérant du simple point de vue de leurs performances et de leurs parcours. La vie des individus, leur subjectivité, leurs pensées, leurs relations et leurs émotions étaient «déduites» du fonctionnement du système bien plus qu'elles n'étaient étudiées pour elles-mêmes. Or, ces questions qui relèvent de l'univers scolaire, représentent aujourd'hui, des expériences à construire au travers de rôles, de jeux et d'enjeux que recouvre cette institution (2008).

En matière de recherche en éducation au Gabon, plusieurs études ont été réalisées sur les thématiques suivantes : les enseignants, les élèves du secondaire (Quentin De Mongaryas, 2006), les étudiants, les politiques éducatives, le syndicalisme enseignant, l'orientation scolaire, la réforme curriculaire, l'origine sociale des élèves, l'échec et la réussite scolaire, la démocratisation ou l'obligation scolaire, etc. Mais, il n'existe pas d'études sur les jugements des élèves du primaire, leurs témoignages et avis sur ce qu'ils pensent de l'école et de leurs enseignants. L'objectif de cette recherche est de placer sur le devant la scène ceux dont on ignore les idées et les actions, à savoir, les élèves du primaire car, en tant qu'« acteurs » du système, ces « jeunes enfants » peuvent être porteurs d'un message sur les enseignants.

Comme l'attestent de nombreuses études dans le monde, l'école primaire est un palier important du système éducatif. Car il constitue le fondement même de l'éducation. C'est le niveau où se transmettent les premières acquisitions de base qui fondent le futur citoyen. Partant de cette lourde mission, que pensent les élèves du primaire, du « bon » et du « mauvais » maître ? Telle est la principale interrogation qui guidera notre réflexion.

L'instituteur librevillois étant au cœur de la transmission des savoirs, est souvent considéré comme : mal formé, à l'origine de l'échec scolaire, violent envers ces élèves, manque de vocation et de conscience professionnelle, absentéiste, etc. Des opinions qui émanent des chercheurs, des pédagogues, des syndicats, des organisations internationales, des parents, et autres acteurs de l'éducation. Mais, les élèves sont ils d'avis avec ces acteurs éducatif ? Notre recherche s'inscrit dans une démarche novatrice, dès lors qu'elle donne la parole à des acteurs méconnus scientifiquement du point de vue de leurs idées.

De ce point de vue, cette démarche nous inscrit d'une part, dans la sociologie compréhensive de Max Weber, dont le but est de comprendre par interprétations le sens que les acteurs donnent à leurs idées. D'autre part, dans la sociologie des jugements scolaires, de Dubet (1996) à travers le champ sociologique du métier d'élève qui s'intéresse, comme le souligne Perrenoud, « au sens que donnent les élèves au travail quotidien et à leur conception de l'école et des enseignants » (1995).

Cinquante (50) entretiens semi-dirigés ont été réalisés auprès d'élèves du primaire de 3ème en 5ème année dans six (6) écoles de Libreville. C'est donc la méthode qualitative qui a retenu notre attention. L'analyse de contenu thématique qui en découle nous a permis de défaire la singularité du discours et découper transversalement les éléments se référant au même thème (Blanchard et Gotman, 1992). Comme le dit Bardin, l'analyse thématique est transversale, c'est-à-dire qu'elle découpe l'ensemble des entretiens par une grille de catégories projetées sur les contenus. On ne tient pas compte de la dynamique et de l'organisation, mais de la fréquence des thèmes relevés dans l'ensemble des discours considérés comme données segmentables et comparables (2001). La perspective compréhensive est la théorie convoquée pour l'analyse de nos entretiens, dès lors qu'elle est très proche des questions posée à la méthodologie qualitative. L'homme ordinaire ayant beaucoup à nous apprendre, la compréhension devient alors une pure saisie d'un savoir social incorporé par les individus (Kaufmann, 2013). Les résultats éventuellement attendus visent une interpellation de la communauté scientifique et des politiques, dans le but de changer l'école publique.

Le regard réflexif porté sur notre question de recherche en lien avec le thème transversal du Congrès, nous inscrit dans la question : quels processus et facteurs nous a conduit à poser notre questionnement? Comme déjà évoqué, l'absence de travaux scientifiques sur les jugements des élèves du primaire, constitue le point d'encrage de cette réflexion. Les résultats attendus visent une interpellation des enseignants, des chercheurs et autorités politiques, en vue d'une prise en compte des avis des élèves dans les politiques et réformes pédagogiques.

BIBLIOGAPHIE

BARDIN, L (2001). L'analyse de contenu. Paris : PUF.

BLANCHET, A. et GOTMAN, A. (1992). L'enquête et ses méthodes : L'entretien. Paris : Nathan.

BRESSOUX, P. (1994). Les recherches sur les effets-écoles et les effets-maîtres. Revue française de pédagogie, 103 pages.

CHOQUET, Q. et F. HERANT, F. (1996). Quand les élèves jugent les collèges et les lycées. In Economie et Statistiques, 193, Pages. 

DUBET, F. (2008). Faits d'école. Paris : EHESS.

DUBET, F. et MARTUCCELLI, D. (1996). A l'école, sociologie de l'expérience scolaire. Paris : Seuil.

FELOUZIS, G. (1994). Le bon prof : La construction de l'autorité dans les lycées. Sociologie du travail, 3.

JARLEGAN, A. et TAZOUTI, Y. (2007). Jugements des enseignants et représentations liées aux différences de sexe et d'appartenance sociale des élèves. Strasbourg : AREF.

KAUFMANN, J.C. (2013). L'entretien compréhensif. Paris : Armand Colin, 3ème édition.

LOROY-AUDOUIN, C. et PIQUET, C. (2004). Ce que déclarent les élèves de l'école élémentaire et pourquoi. In Education et Société, n°13.

MONTANDON, C. (1995). La socialisation scolaire : De l'expérience des enfants à l'analyse sociologique. Revue européenne des sciences sociales, XXXIII, 102 pages.

PERRENOUD, P. (1995). Métier d'élève et sens du travail scolaire. Paris : ESF.

QUENTIN De MONGARYAS, R-F. (2006). Les jugements scolaires dans l'enseignement secondaire général au Gabon. Analyse des expériences scolaire et professoral. Doctorat de sciences de l'éducation, Université de Picardie Jules Verne, Amiens.

RIVANO, P et BRU, M. (2001). Les enseignants connaissent-ils les points de vue des élèves sur leur scolarité ? Revue française de pédagogie, 137 pages.

SIROTA, R. (1988). L'école primaire au quotidien. Paris : PUF.


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