Le processus de décentralisation entamé dans les années quatre-vingt et la Loi d'orientation sur l'éducation du 10 juillet 1989, dite loi Jospin, ont donné à l'établissement scolaire une place centrale dans le système éducatif français. A partir des années quatre-vingt les politiques ministérielles ainsi que l'Institution Scolaire vont miser sur ce nouvel acteur institutionnel pour atteindre l'objectif de réussite pour tous que l'école s'est fixé, en permettant notamment aux établissements d'adapter les objectifs nationaux aux problématiques et besoins locaux.
Ce rôle prépondérant qui est désormais accordé à l'EPLE, établissement public d'enseignement, «où l'on sait pouvoir trouver des solutions»[1] pour répondre à l'injonction de réussite pour tous, induira l'apparition de nouvelles modalités de formation continue centrées sur la nécessité de développer et de transformer les pratiques professionnelles dans le cadre du travail. Ce type de décision peut s'appuyer sur des travaux comme ceux de Lise Demailly (1999) qui montrent le caractère peu formatif des formations académiques descendantes, qui fonctionnent par regroupement d'enseignants, souvent d'une même discipline, dans un établissement où ils n'exercent pas. En revanche la mise en œuvre de contenus de formation, en liaison avec le milieu de travail et avec les problèmes réels, par des collègues qui réfléchissent et agissent collectivement dans un établissement qui est le leur, produirait des effets plus persistants. Dans ce contexte-là l'établissement scolaire devient le lieu « idéal » de formation où peuvent se développer des savoirs et des apprentissages pertinents pour lutter contre l'échec scolaire à travers le développement professionnel des enseignants.
Mais l'établissement scolaire est traversé par d'autres logiques (conflits catégoriels, problèmes statutaires, identités professionnelles, stratégies de management, élaboration de curriculums locaux) qui peuvent interférer avec les projets formatifs et les contenus de formation et introduire d'autres difficultés. C'est donc la question du lieu « idéal » que nous allons interroger dans cette proposition de communication qui s'inscrit dans le cadre d'une thèse en cours. Nous nous intéressons à 3 établissements scolaires, essentiellement des collèges dans lesquels nous enquêtons, en réfléchissant dans le cadre de modèles sociologiques comme la sociologie de la mobilisation et la sociologie de la traduction (Dubet, Cousin, Guillemet, 1989), (Derouet et Dutercq, 1997), (Akrich, Callon, Latour, 2006). Il s'agit de comprendre comment se construit la mobilisation de l'équipe éducative d'un établissement, et d'éprouver l'hypothèse que nous faisons selon laquelle les contenus de formation, la nature des projets formatifs et leurs effets sont conditionnés par la façon dont les acteurs et les réseaux de mobilisation locaux les mettent en œuvre. Notre enquête, de nature essentiellement qualitative, procède par une observation ethnographique du terrain et des entretiens avec tous les partenaires de la formation.
A travers cette communication, nous nous proposons de faire l'exposé à caractère monographique d'une action de formation menée dans un collège classé ZEP en zone rurale, en Picardie. Il s'agit d'une formation à l'empathie relationnelle, à destination de l'ensemble du personnel enseignant et éducatif du collège, ayant pour objectif d'améliorer le climat de la vie scolaire au sein de l'établissement et d'agir également sur les conditions de travail dans les classes. Cette formation, qui nous a été présentée comme une formation-action de grande envergure, qui s'est étalée sur une année scolaire, a été conduite par un chercheur et deux de ses étudiants. Pendant notre période d'observation dans l'établissement nous avons interviewé différents membres de l'administration du collège et de l'équipe éducative au sujet de la formation. Nous avons recueilli en tout treize entretiens de personnes volontaires, en faisant en sorte que l'ensemble du personnel de l'établissement soit représenté.
Les premiers résultats confirment l'idée que les contenus de formation ne sont pas indépendants des conditions de mise en œuvre locale ; et, sous réserve que le reste de notre recherche corrobore ceci, ils montrent la réciprocité entre la teneur de la formation et la nature des réseaux qui la mettent en place en faisant apparaître un type d'établissement formateur que nous appellerons « l'établissement dissident ». Cette dissidence s'est traduite par un décrochage progressif des enseignants de la formation, par un désintéressement, voire une désillusion, perceptibles dans des propos convergents qui remettent en cause la nature, la légitimité et l'efficacité de cette formation.
Question de recherche:
L'institution se pose des questions sur l'efficacité de la Formation Continue, la recherche tente d'en montrer les présupposés et les impensés et de poser des questions préalables sur ses conditions de possibilité.
Bibliographie :
Akrich, M., Callon,M., Latour, B. (2006). Sociologie de la traduction : textes fondateurs. Paris, Presses des Mines de Paris.
Cauterman, M.M., Demailly L., Bliez-Sullerot, N., Suffys S. (1999). La formation continue des enseignants est-elle utile? Paris : PUF.
Derouet, J-L., Dutercq, Y. (1997). L'établissement scolaire. Autonomie locale et service public. Paris : ESF, INRP.
Dubet, F., Cousin, O., Guillemet, J-P. (1989). Mobilisation des établissements et performances scolaires : le cas des collèges. Revue française de sociologie, vol. 30, n°2.