4-7 juil. 2016 Mons (Belgique)
Les compétences des lycéens face aux images photographiques
Jean-Christophe Vilatte  1@  
1 : Centre Norbert Elias  (CNE)  -  Site web
CNRS : UMR8562
2 Rue de la Charité 13002 MARSEILLE -  France

Il est communément admis que les jeunes vivent aujourd'hui dans un monde d'images, que l'image est devenue leur mode d'expression spontané et naturel, qu'elle leur est facilement accessible et qu'ils la comprennent d'emblée. Mais il est aussi fréquent d'entendre dire que les jeunes sont passifs, matraqués, manipulés par les images, qu'ils subissent les images fabriquées par quelques initiés qui se jouent de leur naïveté ou de leur innocence. D'où, de nombreux auteurs insistent sur la nécessité d'une éducation à l'image, et proposent des approches didactiques ou pédagogiques sans montrer réellement ou scientifiquement l'efficacité de leur démarche.

Les recherches qui sont entreprises en psychologie traitent essentiellement de la question de l'image comme outil thérapeutique, de socialisation ou de communication avec des groupes de jeunes à risque ou fragiles. Relativement anciennes et plutôt assez rares, les recherches qui traitent des compétences des jeunes en matière d'images portent surtout sur les très jeunes et jeunes enfants. Elles montrent que ces derniers ont des compétences à lire et à comprendre les images qui augmentent avec l'âge (Liben, 2008). Si ces compétences évoluent avec l'âge, elles paraissent toutefois encore assez limitées chez les adolescents. Des travaux en didactique de l'image montrent que les adolescents seraient encore de piètres descripteurs d'images, ayant tendance à les décrire de manière ponctuelle, pointilliste, sans grande précision et sans organisation apparente, se posant sur elles des questions assez élémentaires (Hugonnie, 1994). Les sémiologues admettent que l'image est complexe, peut-être davantage que le mot (Thibault-Laulan, 1972), sans que l'on sache comment les jeunes s'approprient et traitent cette complexité. Après avoir exploré la littérature scientifique, il n'est guère possible aujourd'hui de faire état de savoirs stables et consensuels sur les compétences des adolescents en matière de perception d'images.

Réalisée dans le cadre d'un appel à projet lancé par le Ministère en charge de la jeunesse et qui portait sur l'accès des jeunes à l'autonomie par les pratiques artistiques et culturelles, l'étude présentée ici porte sur l'évaluation d'une « mallette-jeu » d'initiation à la lecture d'images. Ce jeu est destiné à des adolescents éloignés des pratiques artistiques et des structures culturelles. D'une durée maximale d'une heure, il est un enchaînement de séquences variées dont l'un des objectifs est de développer des compétences liées à la lecture des images : plus particulièrement à la capacité des jeunes à identifier, distinguer, comparer, opposer, déterminer des familles d'images, classer, attribuer des fonctions aux images et argumenter, savoir les replacer dans un contexte. Il a été décidé de construire un outil d'évaluation qui ne sollicite pas la verbalisation et l'autoévaluation des jeunes (leurs représentations ou leurs discours sur le jeu), mais qui les fasse manipuler des images, à partir d'une consigne qui nécessite, pour pouvoir y répondre, d'avoir acquis les savoirs et les savoir-faire développés dans le jeu. La démarche à partir de cette épreuve est d'évaluer des jeunes avant le jeu et après, de comparer un groupe témoin à un groupe contrôle, et d'observer des différences liées au jeu. L'hypothèse principale est que les jeunes qui y ont joué doivent être capables de classer et d'identifier plus facilement des images que ceux qui n'ont pas participé au jeu.

Deux versions du jeu ont été évaluées, l'une auprès de 305 lycéens et l'autre auprès de 350 lycéens, issus dans les deux cas de classes de première et de terminale. Quelle que soit la version du jeu, l'observation des lycéens montre une grande implication des jeunes et ceci tout au long du jeu. Les jeunes ont apprécié cette façon originale d'aborder l'image. Du côté de la motivation et de l'implication, mais aussi de la participation, le jeu atteint pleinement son objectif. Dans la première version, l'évaluation met en évidence un effet très limité de ce jeu en termes d'apprentissage (pas vraiment de différences significatives au niveau des compétences entre ceux qui ont joué et ceux qui n'ont pas joué), tandis que la deuxième version s'avère efficace dans l'émergence d'un changement d'attitudes culturelles et dans le sentiment d'avoir appris, mais toujours avec des effets limités dans le développement des compétences cognitives en matière de traitements iconiques.

Il s'agira de rendre compte de ces différences entre les deux versions et de les discuter. Elles sont liées en partie aux représentations que les concepteurs ont des compétences iconiques des adolescents, mais également en raison du changement du format du jeu (nombre de séquences, consignes, ...) entre les deux versions. Les conséquences de cette évaluation en termes didactiques et pédagogiques seront présentées.

Bibliographie

Burgess, M., Enzle, M., & Morry, M. (2000). The social psychological power of photography: Can the image-freezing machine make something of nothing? European Journal of Social Psychology, 30, 613-630.

Kose, G. (1985). Children's knowledge of photography: A study of the developing awareness of a representational medium. British Journal of Developmental Psychology, 3, 4, 373-384.

Hugonnie, G. 1994. L'analyse de photographies de paysages par les élèves de collège. Revue de géographie de Lyon, 69, 3, 237-243.

Liben, L. (2008). Developing children's appreciation of photographs as informative and aesthetic artifacts. In Constance Milbrath, Hanns M. Trautner (Eds.): Children's Understanding and Production of Pictures, Drawings, and Art. Göttingen : Hogrefe Publishing, 155-184

Seidman, S., & Beilin H. (1984). Effects of Media on Picturing by Children and Adults. Developmental Psychology, 20, 4, 667-672.

Thibault-Laulan, A-M. (1972). Image et spectateurs. Communication et langages. 13, 36-52.

 Regard réflexif sur la question de recherche

 L'éducation à l'image est un enjeu de société pour lequel nous ne pouvons faire l'économie d'une réflexion en profondeur. Or les débats sur le rapport des jeunes à l'image sont souvent idéologiques, davantage que scientifiques. Il s'agit de montrer quelle peut être la contribution de la recherche à ces débats. Il s'agit également de questionner le rôle du chercheur dans sa relation avec les professionnels, lors d'un appel à projet dans lequel il est l'évaluateur du projet. Cette étude pose également des questions sur l'évaluation de dispositifs didactiques et pédagogiques.



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