Les raisons de fréquenter les musées sont multiples (Falk & Dierking, 1992). Parmi ces différentes raisons, il y a celle d'éprouver des émotions (Sander & Varonne, 2001). Ne pas en ressentir peut être un frein à la visite (Gottesdiener, 1992).
Si la littérature sur l'émotion au musée est abondante, un état de l'art montre que les recherches sur le lien entre émotion et expérience de visite sont peu nombreuses, l'une des raisons étant liée à la difficulté d'identifier et de caractériser cette dimension. En effet, les émotions sont souvent confondues avec les affects, et sont difficilement distinguables d'autres phénomènes tels que les sentiments, la motivation, les attentes, l'humeur, les attitudes, les pulsions, etc. Phénomènes qui dépendent les uns des autres et qu'il est parfois difficile scientifiquement de discriminer. La plupart des théoriciens s'accordent à considérer les émotions comme des épisodes de changements somatiques et psychologiques, en réponse à des événements internes (par exemple des pensées ou des souvenirs) ou externes (par exemple la rencontre d'un nouveau stimulus). Les émotions résultent d'un ensemble complexe d'interactions entre les facteurs subjectifs et objectifs, médiées par les systèmes neuronaux/hormonaux. La subjectivité dans le déclenchement et le maintien d'une émotion rend compte de l'importance de la variabilité intra- et inter- individuelle de l'expérience émotionnelle. L'importance et la place de ces différents éléments dans la survenue de l'émotion varient selon les théories. Ce qu'est une émotion fait encore débat (Leveau, 2011). L'émotion esthétique peine à être caractérisée et échappe à bien des chercheurs qui tentent de l'étudier.
Dans la recherche que nous avons conduite, il ne s'agit pas de mettre en évidence les conditions d'émergence des émotions au cours de la visite, ni de décrire les émotions ou de tenter de les catégoriser, ni de comprendre leur rôle au cours de la visite, leur lien avec les fonctions cognitives, mais d'étudier leur détermination et leur poids dans le déclenchement et l'installation de la pratique de fréquentation des musées. S'interroger sur le rôle des émotions au musée peut conduire à se demander plus particulièrement : pourquoi le visiteur vient-il ? Qu'est-ce qu'il recherche ? Est-il susceptible de développer cette pratique de visite ?
Nous inspirant de différentes recherches, nous avons réalisé un questionnaire sur la pratique de fréquentation des musées en retenant, sans prétendre à l'exhaustivité, un ensemble relativement large de variables sociologiques et psychologiques susceptibles de rendre compte de la mise en place et de la structuration de cette pratique. Ces déterminants renvoient : aux caractéristiques démographiques ou socioprofessionnelles de l'enquêté ou de sa famille ; aux traits de personnalité évalués par le NEO-PIR (Costa & McCrae, 1998) ; aux pratiques muséales antérieures et projets de visite ; à l'enseignement artistique scolaire ou hors scolaire reçu ; aux modalités de visite des musées (école, parents, amis, couple, visite avec enfants, etc.) ; aux raisons qui ont motivées l'enquêté à fréquenter les musées, aux ressentis recherchés ou attendus lors des visite, à la satisfaction. Parmi les diverses motivations et les différents attendus lors de la visite, nous avons retenu plus spécifiquement la composante émotionnelle.
Cette recherche a porté sur 871 étudiants âgés de 17 ans à 69 ans (avec une moyenne d'âge de 20,52 ; un mode égal à 18 et une médiane à 19), inscrits en L1 de psychologie à l'université Paris Ouest Nanterre La Défense, en L1 et L3 (psychologie, sciences de l'éducation, sciences du langage) ou Master sciences de l'éducation ou des métiers de l'enseignement à l'université de Lorraine. Parmi les enquêtés, 11,8% étaient en formation continue, et 18,4% étaient de sexe masculin.
Toutes les analyses effectuées confirment que les émotions font parties de façon significative des motivations et des expériences recherchées au cours de la visite, quel que soit le type de musées. Les enquêtés qui sont habitués des musées sont plus à la recherche d'émotions positives que ceux qui les visitent peu. Il est à noter qu'il n'y a pas en termes d'attentes ou de recherches émotionnelles de différence du point de vue du sexe. Par contre, plus l'âge des enquêtés augmente plus ces derniers sont en attente et en recherche d'émotions. Toutefois, si l'émotion est une variable qui permet de comprendre la pratique de visite, différentes analyses de régression multiple montrent que d'autres variables sont plus prédictives de la fréquence de visite : les visites avec les parents ou avec l'école/professeur, une éducation artistique reçue en dehors de l'école, le trait de personnalité « ouverture ». La valeur du coefficient de détermination R est de .530 pour ces quatre variables.
Ces données, ainsi que d'autres résultats liés à l'émotion, seront détaillées et discutées.
Bibliographie
Gottesdiener, H. (1992). Freins et motivations à la visite des musées d'art. Rapport, Paris: Ministère de la culture. Département des Etudes et de la Prospective.
Falk, J., & Dierking, L. (1992). The Museum Experience. Washington D.C : Whalesback Books.
Leveau, N. (2011). Évaluations automatiques des émotions et sentiments, mémoire sémantique et compréhension de texte : expérimentations et simulations. Thèse de doctorat non publiée. École Pratique des Hautes Études, Paris, France
Sander, D., Varonne, C. (2011). L'émotion à sa place dans toutes les expositions. La lettre de l'OCIM, mars-avril, n°134, 1-10.
Regard réflexif sur la question de recherche
Cette recherche sur l'accessibilité des publics aux musées met en évidence la nécessité de convoquer une perspective plurielle dans l'explication et la compréhension des pratiques culturelles. Il s'agira de s'interroger sur cette nécessité. Si le dialogue entre perspective sociologique et perspective psychologique ne peut qu'apporter des éclairages nouveaux, ce dialogue pose des problèmes épistémologiques et méthodologiques.
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