4-7 juil. 2016 Mons (Belgique)
La liberté des chercheurs-intervenants à l'épreuve de la demande sociale
Dominique Broussal  1@  , Véronique Bedin  1@  
1 : UMR Education, Formation, Travail et Savoirs  (EFTS)
Université Toulouse le Mirail - Toulouse II

Bien que la question très large des rapports entre autonomie de la recherche et demande(s) sociale(s) ne soit pas nouvelle, faisant l'objet d'injonctions socio-politiques, de réflexions de type éthico-épistémologique ou s'invitant de façon plus ou moins formelle dans les pratiques institutionnelles de la communauté scientifique, elle se pose de façon exacerbée, et nous le verrons, renouvelée, dans le cadre de recherches spécifiques qui revendiquent une visée praxéologique, c'est-à-dire qui ont pour projet explicite l'accompagnement du changement en éducation. Le principe même d'une liberté de la recherche est-il adapté, dès lors que l'on se recommande d'un continuum science-action ou que différentes catégories d'acteurs (décideurs, bénéficiaires, professionnels) se trouvent associés, à des degrés divers, au processus de recherche et non plus dans une position de simple destinataire des résultats de celle-ci ? Les recherches-interventions qui sont conduites en sciences de l'éducation et selon des modalités qui seront explicitées dans le cadre de cette contribution abordent, de façon frontale, cette relation complexe que le trait d'union (R-I) encode. Cette indissociabilité de la « recherche » et de l'« intervention » colore chacun des termes d'une tonalité particulière. La R-I assume une fonction d'interface qui amène le chercheur à s'interroger de façon continue sur les conditions d'effectivité de la connaissance et à s'inscrire ainsi dans la perspective d'une « problématisation pratique » (Berthelot, 1996). Elle promeut l'usage social d'une connaissance co-produite avec les acteurs de terrain – en respectant les prérogatives institutionnelles de chacun, dont celles des décideurs qualifiés (Sfez, 1992) – et impose une réflexion critique sur la science elle-même, une « science en action » ainsi que Latour (1989) la désigne. Les rapports entre recherche et demande(s) sociale(s) se complexifient, dès lors que cette dernière émerge de l'indéfini qui la caractérise généralement, pour se spécifier dans des commandes (Aballéa, 1995). Ces dispositifs de contractualisation engagent progressivement l'un et l'autre des partenaires au cours d'un processus de traduction complexe (Callon, 1989) : « des » demandes sociales hétérogènes à « une » demande sociale plus consensuelle jusqu'à « la » demande d'intervention et la commande formelle qui, idéalement, clôture l'ensemble du cheminement. Ainsi que l'évoquent Marcel et Péoc'h (2013), la posture du chercheur-intervenant ne se construit alors pas tant dans l'alternative liberté/demande que dans « une mise en tension de la distance à l'objet (aussi bien l'objet social que l'objet de recherche) sur un axe proximo-distal » que les deux chercheurs qualifient par la formule métaphorique de « l'ici-ailleurs » (2013, p. 119).

 

Afin d'étudier la façon dont les chercheurs engagés dans des recherches-interventions appréhendent cette tension, la manière dont ils s'en « débrouillent » dans leurs activités de recherche et en rendent compte dans leurs écrits, cette communication soumettra un corpus de quinze « productions » scientifiques, issues de recherches-interventions, à une grille d'analyse. Le terme de « productions » fait référence à quatre types de textes différents, considérés comme de « la matière grise » pour le sujet étudié : les rapports de recherche-intervention et les registres de recommandations destinés aux commanditaires ou aux participants des opérations réalisées (diffusion et valorisation sociales), les articles et les ouvrages « de recherche » visant à proposer une analyse réflexive et une évaluation a posteriori de ces mêmes opérations (diffusion et valorisation scientifiques). Un tiers des documents du corpus textuel ainsi constitué est issu de l'effectuation concrète des recherches-interventions menées et trois quarts des documents concernent leur objectivation scientifique. Il s'agira de mettre en évidence une typologie des modes de réponses (à la question de la tension liberté/demande) et d'en repérer les principaux déterminants. Cette grille d'analyse croisera plusieurs dimensions : rapports entre valeurs des chercheurs en éducation et préoccupations politiques ou « technicistes » des commanditaires ou des opérateurs de terrain, coexistence de conceptions internalistes traditionnelles et d'attracteurs externalisants, perméabilité des problématiques scientifiques aux questionnements émergents des demandes sociales et des commandes, relations entre contraintes et ressources dans la conduite des recherches-interventions et possibilités réelles de dépassement des difficultés rencontrées, pouvoir effectif de coordination et de régulation pour les chercheurs-intervenants, interférences entre l'éthique de la responsabilité et du lien... Les résultats de l'investigation empirique menée seront présentés de manière comparative, au regard de la diversité des supports textuels analysés.

 

Aballéa, F. (1995). Demande sociale et commande publique : problématique générale. Recherche sociale, 136, 7-23.

 

 

Ardoino, J. (1980). Education et relations : Introduction à une analyse plurielle des situations éducatives. Gauthier-Villars: Unesco.

 

 

Berthelot, J.-M. (1996). Les vertus de l'incertitude. Le travail d'analyse dans les sciences sociales. Paris, France : PUF.

 

 

Callon, M. (Dir.) (1989). La science et ses réseaux. Genèse et circulation des faits scientifiques. Paris : La Découverte.

 

 

Gurnade, M.-M. & Marcel, J.-M. (2015). La restitution comme espace de confrontation de savoirs pluriels: le cas d'une recherche-intervention. Nouveaux c@hiers de la recherche en éducation.

 

 

Herreros, G. (2009). Pour une sociologie d'intervention. Toulouse : Erès.

 

 

Marcel, J.-F. (2010). Des tensions entre le « sur » et le « pour » dans la recherche en éducation : question(s) de posture(s). Cahiers du CERFEE, 27-28, 41-64. 

 

 

Marcel, J.-F. & Péoc'h, N. (2013). Recherche-intervention et changement en éducation. Question(s) de posture(s). In V. Bedin (dir.), Conduite et accompagnement du changement, contribution des sciences de l'éducation. Paris : L'Harmattan, 107-124.

 

 

Marcel, J.-F. (Ed.). (2015). La recherche-intervention par les Sciences de l'éducation. Dijon : Educagri.

 

 

Mérini, C. & Ponté, P. (2008). La recherche-intervention comme mode d'interrogation des pratiques. Savoirs, 2008/1(16), 77–95.

 

 

Sfez, L. (1992). Critique de la décision. Paris : Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques.

 


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