S'inscrivant dans l'axe « comprendre » des thématiques du congrès, notre présente communication met en image la longue construction d'un objet de recherche à partir d'une commande professionnelle. Elle s'appuie sur un travail de description et d'analyse des pratiques professionnelles de l'ergothérapeute, réalisé dans le but d'enrichir les dispositifs de formation associés.
Se donnant pour objectif général de « trouver des solutions aux problèmes que rencontrent les patients dans la réalisation de leurs activités quotidiennes », le champ d'intervention de l'ergothérapeute est très vaste (population, moyens). Il s'apparente le plus souvent à une démarche d'accompagnement (Paul, 2009) visant l'appropriation par le patient de moyens techniques pour compenser les difficultés qu'il rencontre dans ses activités. Un travail exploratoire, librement inspiré des démarches ethnographiques et de la méthode de comparaison continue de Glaser et Strauss (1967), nous a permis de préciser un aspect spécifique du travail de l'ergothérapeute : les situations d'interaction où l'ergothérapeute co-construit avec le patient les solutions à mettre en place. Dès lors, les enjeux professionnelles, investis dans notre étude, se spécifient autour de la question suivante : quelles sont les stratégies de l'ergothérapeute pour conduire efficacement ces situations d'interaction ?
Pour saisir au plus près le déroulement de l'interaction à l'œuvre entre l'ergothérapeute et le patient, nous empruntons à Theureau (2004) la démarche anthropologique, d'inspiration phénoménologique, du « cours d'action ». En particulier, nous procédons à des entretiens d'autoconfrontation où la personne visionne des traces de son activité à partir d'un enregistrement vidéo. Cette technique d'entretien à pour objectif d'aider l'acteur à décrire, commenter ou mimer la dimension subjective de l'activité accessible à sa conscience. Cette seconde phase de notre investigation nous conduit à opérer un choix spécifique quant aux modalités d'analyse de l'interaction. En effet, après une réorganisation des matériaux selon les modalités de l'analyse sémiologique (Theureau, 2004), notre attention se porte sur trois phénomènes :
- Les différents « modes d'engagement » de l'ergothérapeute dans son interaction avec le patient, utilisés de manière discontinue.
- Le choix de ces « modes d'engagement », opéré en situation à partir des « interprétations » multiples et complexes de la part de l'ergothérapeute.
- L'utilisation que fait l'ergothérapeute des gestes professionnelles en relation avec les préoccupations de construire, aider et guider sa manière d'agir dans la situation. Il en va de même de ce qu'il perçoit de l'autre à travers son comportement physique.
Ces trois phénomènes orientent notre étude sur la compréhension du rôle des « techniques du corps » (Mauss, 1950) dans la conduite de l'interaction par l'ergothérapeute. Ainsi, à l'aide d'un travail de synthèse des apports scientifiques sur le corps et les gestes dans la relation et le travail, notre objet de recherche évolue et se distingue des attentes professionnelles. Nous en proposons la formulation suivante : de quel manière l'étude des gestes corporels permet de rendre compte de la dynamique des modes d'engagement dans l'interaction ?
Dans cette communication, nous insisterons particulièrement sur la difficulté de travailler simultanément les enjeux professionnels et les enjeux scientifiques de la recherche. Nous prendrons la distinction de l'objet de recherche, au cours de cette étude, comme illustration d'un moment représentatif des complications qui émergent dans la démarche du chercheur.
Bibliographie
Cizeron, M. et Gal-Petitfaux, N. (2010). Analyse des pratiques : expérience et gestes professionnels. Clermont-Ferrand : Presses universitaires Blaise Pascal.
Goffman, E. (1973). La mise en scène de la vie quotidienne, tome 1. Paris : Editions de minuit.
Glaser, B. G. et Strauss, A. L. (1967), Discovery of Grounded Theory : Strategies for Qualitative Research. Chicago, Aldine.
Guérin, J. (2012). Activité collective et apprentissage, de l'ergonomie à l'écologie des situations de formation. Paris : l'Harmattan.
Jorro, A. (2006), « L'agir professionnel de l'enseignant », séminaire de recherche du Centre de Recherche sur la formation, CNAM, Paris. En ligne : https://hal.inria.fr/file/index/docid/195900/filename/CNAM-06.pdf, consulté le 22 février 2015
Leplat, J. (2013), « Les gestes dans l'activité en situation de travail, aperçu de quelques problèmes d'analyse », Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé, n°15-1, 2-19.
Peirce, C. S. (1978). Ecrits sur le signe. Paris : Seuil.
Maturana, H.R., & Varela, F. (1987). The tree of Knowledge. Boston & London : Shambala.
Mauss, M. (1950). Les techniques du corps. Paris : PUF.
Paul, M. (2009). Accompagnement. In Recherche et formation, n°62, 91-107
Theureau, J. (2004). Le cours d'action, méthode élémentaire. Toulouse : Octarès éditions.
Varela, F. J. (1989). Autonomie et connaissance. Paris : Seuil.