ENJEUX LIES A CETTE RECHERCHE
Pour de nombreux chercheurs, comprendre et utiliser l'informatique sont deux activités qui se complètent l'une à l'autre. Certains pays, comme la France, ont, cependant, fait le choix de considérer l'informatique à l'école uniquement à travers ses usages, via le B2i pour la France. Cette vision ne semble-t-elle pas trop restrictive ? Le numérique peut-il se limiter à son seul usage au service des autres disciplines ? Comprendre l'informatique ne pourrait-il pas permettre un usage plus efficace et plus en mesure de s'adapter aux constantes évolutions technologiques ?
INTRODUCTION
Cette recherche, qui s'inscrit dans le cadre du projet « Didactique et apprentissage de l'informatique à l'école » (DALIE), a eu pour objectif de traiter des questions des savoirs associés à l'informatique et de caractériser la capacité des élèves à penser les objets sur lesquels ils peuvent agir.
CONTEXTE
Pour Baron et Bruillard (2008), comprendre ce qui se passe derrière l'écran passe par l'acquisition de la capacité à conceptualiser c'est-à-dire par la construction d'idées abstraites à partir de l'expérience.
Selon Crahay (1987) l'enjeu de Logo qui est souvent présenté comme une réponse à ce besoin, est bien l'apprentissage de la pensée. D'autres approches de l'enseignement de la pensée informatique (Wing, 2006) se sont développées, comme le mouvement de l'informatique sans ordinateur (Bell, Alexander, Freeman, & Grimley, 2009) qui consiste à initier les élèves « aux concepts et méthodes de l'informatique » (Drot-Delange, 2013).
CADRE THÉORIQUE
Le cadre théorique principal est celui de la théorie des champs conceptuels (Vergnaud, 1990). Complété des travaux sur l'analyse d'activités instrumentées (Baron & Bruillard, 2008), ce cadre permet d'approcher létude de concepts informatiques en situation problème. Le modèle d'analyse prend en compte les prérequis nécessaires aux nouveaux apprentissages, la façon dont ils doivent se succéder ainsi que les conceptions des élèves.
PROBLÉMATIQUE
De quelle manière est-il possible de traiter de la pensée informatique avec des élèves à l'école primaire ?
Le concept informatique en jeu est celui des procédures, précisément de l'automate. Il recouvre les concepts d'algorithme, de machine et de langage. Le questionnement couvre le domaine de l'apprentissage, de la transmission des savoirs et des connaissances mobilisées.
MÉTHODOLOGIE
Le scénario, extrait du guide CSU , s'appuie sur les modèles constructivistes. Il se présente sous la forme d'un ensemble de situations-problèmes permettant de découvrir la notion d'automate (états et transitions) et d'établir des liens avec l'informatique d'usage (saisie du code d'un digicode, sélection pour un distributeur).
Sa mise en œuvre a pris en compte les préconisations soulignées par Drot-Delange (2013) : sens à donner à l'activité, importance à manipuler des objets et compétences théoriques des enseignants.
Les fiches d'activités élèves et la fiche de mise en œuvre du scénario ont été fournies à l'enseignant avec le matériel nécessaire (jetons, grilles).
Les activités invitent les élèves à interpréter, manipuler et concevoir des automates tracés sur papier. Par le déplacement d'un pion dans un espace défini, les élèves sont amenés à lire et définir des séquences constituées d'une suite de lettre à la manière d'un automate qui obéit à un utilisateur.
Une approche d'inspiration ethnographique a été adoptée et une collecte de données entreprises à différentes étapes : entretiens d'un groupe de quatre élèves, en groupe d'entretien focalisé, avant puis après réalisation du scénario, observations filmées (groupe et classe) des séances, entretien de l'enseignant, après la réalisation du scénario.
RESULTATS ET ANALYSE
Des données primaires (193 min vidéo, 84 min audio) nous avons constitué les données secondaires (corpus 11 629 mots) et avons sélectionné des données, en lien avec nos appuis théoriques et notre questionnement. Ces données, qui ont fait l'objet d'une catégorisation en sept thèmes, ont été analysés selon deux des dimensions du triplet du concept (la situation problème, le signifié) et aussi s'agissant des apprentissages couverts.
Certaines difficultés lexicales levées, les élèves ont semblé en immersion, aidés sans doute par le nom imagé (chambre, cuisine, île des pirates, etc.) donné aux états de l'automate. La terminologie désignant les transitions a évolué en fonction du contexte. Les transitions sont successivement qualifiées d'escalators (donjon), de couloirs (appartement) ou encore de lignes aériennes (îles mystérieuses).
Dans le cadre des schèmes mis en œuvre, des capacités d'anticipation et de mémorisation (les constituants) ont été relevées ainsi que des invariants opératoires (concept-en-acte dont le champ de validité recouvre l'ensemble des automates déterministes et théorème-en-acte dont le champ de validité est limité aux automates étudiés). Les élèves se sont forgé des outils pour s'aider à comprendre l'automate. Cette approche du savoir par une identification personnelle permet à l'automate d'intégrer l'ensemble des « objets-pour-penser-avec » (Crahay, 1987).
Les domaines d'apprentissages ont principalement couvert le français et les outils de la langue [précision du langage, utilisation de condition, d'opérateur, transformation de forme de phrase affirmative en phrase négative], la culture scientifique [capacités de résolution de situation problème, démarche d'investigation], le vivre ensemble [travailler ensemble, échanger en argumentant], les TICE.
DISCUSSION
Le scénario étudié est porteur d'objectif précis d'apprentissage en informatique (principe général de fonctionnement d'un automate fini, codage et décodage d'une information contenue dans un schéma), mais sa simplicité apparente peut conduire certains enseignants à se contenter de l'apport cognitif (résolution situation-problème) et du ‘plaisir à faire'.
Ce sont les situations pédagogiques et la qualité de leur mise en œuvre qui ont permis aux élèves d'approcher la maitrise du concept étudié. Les références socio culturelles du contexte, le rappel à des exemples simples d'usage (distributeur, ...) ainsi que l'incitation à la verbalisation des élèves à propos de leurs images mentales ont aidé les élèves à s'approprier les situations proposées.
Mais, il nous semble judicieux de proposer, le plus rapidement possible, des situations abstraites d'automate, sans référence imagée.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Baron, G.-L., & Bruillard, E. (2008). Technologies de l'information et de la communication et indigènes numériques : quelle situation ?
Bell, T., Witten, I. H., & Fellows, M. (2009). Computer Science Unplugged
Crahay, M. (1987). Logo, un environnement propice à la pensée procédurale.
Didactique et apprentissage de l'informatique à l'école (DALIE). (2015)
Drot-Delange, B. (2013). Enseigner l'informatique débranchée : analyse didactique d'activités
Komis, V., & Misirli, A. (2011). Robotique pédagogique et concepts préliminaires de la programmation à l'école maternelle : une étude de cas basée sur le jouet programmable Bee-Bot
Tchounikine, P. (2016). Initier les élèves à la pensée informatique et à la programmation avec Scratch.
Vergnaud, G. (1990). La théorie des champs conceptuels.