Présentation : Le système Pelman de gymnastique mentale se présentait comme une méthode d'entraînement des facultés psychiques et des performances physiques, conçue pour apporter à ses membres tonus, confiance en soi, leadership et réussite. Forte d'une clientèle de 29 000 adhérents appartenant à toutes les franges de la classe moyenne, la méthode Pelman a construit son succès en France dans les années 1920 à partir de son cours par correspondance (« Les douze leçons du pelmanisme »), d'une revue mensuelle de psychologie pratique éditée entre 1927 et 1939 (La Psychologie et la Vie) et des cercles de sociabilité qui réunissaient localement les « Pelmanistes » sur l'ensemble du territoire. L'histoire sociale de l'institut Pelman, fleuron des instituts d'efficience mentale, permet d'esquisser les caractéristiques de ce nouveau marché de la santé, du succès et de la sagesse.

Objet de recherche : L'essor du marché du développement personnel dans les années 1890, en Europe et aux Etats-Unis, ne fut possible qu'à travers la rencontre entre, d'une part, des groupes professionnels en concurrence pour la définition et les applications de la psychologie pratique et, d'autre part, un public réceptif issu de toutes les fractions des nouvelles classes moyennes salariées (de l'ingénieur à la sténodactylographe). Médecins, ingénieurs, pasteurs et aussi éducateurs, psychologues et professeurs d'éducation physique rivalisèrent d'ingéniosité pour mettre sur pied ce nouveau genre éditorial diffusé sur différents supports imprimés.

Problématiques : L'étude de la genèse du marché et de la culture du développement personnel pose la question des fonctions sociales de l'éducation en tant que technologie de façonnement des comportements et des destins sociaux. Ce faisant, l'étude de l'institut Pelman d'efficience mentale s'inscrit au carrefour de plusieurs problématiques :

• « Culture humaine », « magnétisme », « épanouissement de la personnalité », « médications psychologiques » : un ensemble d'expressions qui renvoie à l'émergence d'une « économie symbolique » (Bourdieu, 1977) des « biens de salut » (Weber, 1996), un « marché de la personnalité » (Mills W., 1970)
• L'essor d'un nouveau groupe d'experts, à la fois « entrepreneurs de morale » et de directeurs de conscience : les premiers promeuvent de nouvelles techniques de gestion des populations (Sélection et O.P., O.S.T., publicité), les seconds prétendent apporter des méthodes pour « réussir » sa vie. Médecins, ingénieurs-conseils, universitaires, militaires, professeurs d'éducation physique. Multipositionnalité. Double jeu : répondre à la demande institutionnelle et à la demande sociale.
• L'émergence d'un nouveau genre éditorial, de services d'expertises psychologiques, de formes de sociabilité inédites qui témoignent d'une mutation des sensibilités et des subjectivités (diffusion des pratiques d'autosuggestion et de gymnastique ; valorisation de l'imaginaire de la santé, de l'ascension sociale, de l'efficience...)
• Les instituts d'efficience mentale sont aussi une caisse de résonnance ou encore un observatoire des problèmes privés rencontrés par les nouvelles classes moyennes. Le façonnement du consentement de ces populations à l'ordre social capitaliste et consumériste exige la gestation d'une idéologie consensuelle des relations industrielles (la collaboration des patrons et des salariés). Le pelmanisme, variante laïcisée de l'éthique protestante, un antidote au communisme ?
• Une histoire comparée des techniques psycho-corporelles : continuité et discontinuité entre 1860 et 2010.

Méthode : L'apparition des cours par correspondance, des magazines destinés au grand public lettré, des livres, des manuels et des guides (incluant des exercices mentaux et des leçons de culture physique) a été mis à profit par ces nouveaux prédicateurs de la santé, de la sagesse et de la réussite sociale. Producteurs de manuels d'éducation de la volonté, directeurs de revues de psychologie pratique, managers d'instituts d'efficience mentale et d'école de formation sur le « magnétisme » personnel se partageaient donc le marché émergent des biens de salut laïques, à travers la vente de techniques de soi ayant pour objet le souci et le perfectionnement de soi-même d'un point de vue physique, moral et social. S'améliorer physiquement, se perfectionner moralement et enfin, s'élever socialement : tel fut le triptyque autour duquel s'édifièrent les discours et les pratiques du bien-être à la fin du XIXème siècle. L'hygiène personnelle par la culture physique, la formation continue par la rééducation des facultés et enfin le désir d'élévation sociale formaient les trois fils directeurs indissociables de ce nouveau genre éditorial que nous étudierons à travers les acteurs, les institutions et les publications de ce réseau de médecins, d'universitaires, d'ingénieurs et d'éducateurs.

La production, la diffusion et la réception de la psychologie populaire sont trois moments indissociables pour une explication d'ensemble de l'essor du marché des « biens de salut » laïcisé. Une sociologie historique des biens de salut doit pouvoir tenir ensemble l'analyse de ce champ différencié d'entrepreneurs de morale ainsi que l'espace des consommateurs. Elle ne doit pas oublier de décrypter, à l'interface entre l'offre et la demande de techniques psycho-physiologiques, l'évolution des contenus spécifiques proposés par ce nouveau genre éditorial. Le marché des biens de salut laïcisés s'inscrit dans l'épanouissement éditorial et institutionnel du champ des psychothérapies depuis la fin du XIXème siècle.

Bibliographie

Bourdieu P., 1977. « La production de la croyance. Contribution à une économie des biens symboliques », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 13, 3-43.

Guillemain H., 2010. La méthode Coué. Histoire d'une pratique de guérison au XXe siècle, Paris : Le Seuil.

Vigarello G., 2003. Le corps redressé. Histoire d'un pouvoir pédagogique, Paris : Armand Colin.

Weber M., 1996. Sociologie des religions, traduit par J.-P. Grossein, Paris : Gallimard.

Wright Mills C., 1970. Les cols blancs, traduit par A. Chassagneux, Paris : François Maspero.