4-7 juil. 2016 Mons (Belgique)
Vérité-vérification et vérité participation
Franck Vialle  1@  
1 : Centre de recherche interuniversitaire Expérience, Ressources et Education  (EXPERICE)  -  Site web
Université Paris VIII Vincennes-Saint Denis : EA3971
2 Rue de la Liberté, 93526 Saint-Denis -  France

 

En Sciences de l'éducation, comme dans le champ du social ou de la santé, l'étudiant-chercheur se confronte à un objet de recherche. Ce dernier est ordinairement construit et organisé dans une problématique. L'étudiant produit un mémoire qui, dans le respect d'une normalité scientifique, est assujetti d'une part, à l'adossement à un terrain d'étude, et d'autre part, à une méthodologie de traitement. Des données sont généralement recueillies sous différentes formes : observations, entretiens, questionnaires... Ce recueil est constitué en corpus et analysé. L'étudiant-chercheur a à charge de produire les éléments de sa propre réfutation. En effet, l'épistémologie de Karl Popper (2008) invite à avancer des résultats « falsifiables ». En remplaçant le critère traditionnel de vérification par celui de falsification, cet auteur, selon Jean Grondin (1993), nous alerte qu'il ne semble pas possible de fournir une vérité positive et définitive d'une théorie scientifique ; tout au plus pouvons-nous en écarter les prédictions altérées. Tous les éléments méthodologiques sont exposés, du corpus à l'analyse, laissant ainsi la possibilité au lecteur de refaire le chemin, et de réfuter les résultats si nécessaires.

Or, Michel Foucault (2001) montre que chaque société a son régime de vérité et qu'elle est en capacité, par le recours au pouvoir-savoir d'experts « compétents », de distinguer les énoncés vrais des faux. Cette « vérité-vérification » demande la mise en rapport avec une norme. Mais, pouvons-nous dire en même temps le « vrai » et le « normal » ? Pour Jacques Bidet (2014) la norme n'est pas réductible au « vrai » de la Science. N'assistons-nous pas, selon ce même auteur et au sujet de la science, à une normalisation comme « nouvelle bureaucratisation du monde » ? Dans ce prêt-à-penser, comme l'affirme Paul Feyerabend (1979), « le cours d'une recherche est dévié dans le canal étroit du déjà compris, et les chances d'une découverte conceptuelle fondamentale (...) sont considérablement réduites ».

Or, à cette « vérité-vérification », attestée par des méthodologies validées par des experts d'autorité, s'oppose une « vérité-participation ». Celle-ci ne concerne pas les institutions, elle est propre à la liberté de chaque chercheur. Pour Grondin (1993) à nouveau, « toute personne qui comprend vise et rejoint quelque chose de vrai ». Certaines vérités nous éclairent ; elles s'accordent avec notre expérience et, attestent de la présence d'un monde et de notre présence dans celui-ci. Elles se construisent dans le dialogue avec autrui et avec nous-même et autorisent l'expression de ce que Pierre Bayard (2002) appelle notre « paradigme intérieur ». Or prenant la proie pour l'ombre, l'étudiant-chercheur pense parfois, dans l'analyse de son corpus, découvrir la « vérité » de l'autre alors qu'il se débat souvent avec ses propres projections. Ainsi, la posture de l'étudiant-chercheur, dans son rapport à son objet d'étude, n'est pas la même, selon qu'il cherche à expliquer objectivement la réalité de « l'autre » dans une visée de « vérité-vérification » ou s'il tente de comprendre sa propre vérité telle qu'elle lui apparaît comme participation, dans la vérité supposée de l'autre.

Dans nos pratiques d'accompagnement de mémoires universitaires en Licence de Sciences de l'Education, nous réalisons des enseignements en méthodologie de la recherche. C'est dans le cadre des travaux sur l'analyse de contenu que la « vérité-participation » de chaque étudiant apparaît le plus nettement. A partir du second semestre nous organisons, à chaque rencontre, un temps de travail collectif sur l'analyse d'entretiens. Chacun leur tour, les étudiants apportent tout ou partie de leur corpus et l'ensemble du groupe travaille sur ces données. Après une « lecture flottante » (Bardin, 2007) les étudiants s'essaient à une pré-catégorisation (Vialle, 2015) et aident le chercheur à assoir sa problématique. Or, l'efficience de cet exercice s'épuise progressivement pour se saturer complètement après plusieurs sessions. En effet, au fil des séances chaque étudiant, pour son propre compte, a affermi sa propre problématique de recherche. Dès lors, quel que soit l'entretien travaillé, il se ramène toujours à la grille de lecture problématisée de chacun. L'objet est commun, il a été recueilli par quelqu'un d'autre et pourtant, chacun croise sa propre « vérité-participation ». Elle lui apparaît alors, comme une évidence et cela indépendamment du corpus.

Cette dialectique « vérité-vérification » et « vérité-participation » semble transversale aux questions d'éducation et de formation. Ainsi, elle nous paraît concerner tout aussi bien les domaines de recherche du social, de la santé ou encore des Sciences l'Education ; c'est au niveau épistémologique qu'il conviendrait alors de l'envisager.

 

 

BARDIN Laurence. « L'analyse de contenu ». Paris : Puf, 2007.

BAYARD Pierre. « Enquête sur Hamlet. Le dialogue de sourds ». Paris : Les Editions de Minuit, 2002.

BIDET Jacques. « Foucault avec Marx ». Paris : La Fabrique, 2014.

FEYERABEND Paul. « Contre la méthode. Esquisse d'une théorie anarchiste de la connaissance ». Paris : Le Seuil, 1979.

FOUCAULT Michel. « Dits et écrits I. 1954-1975 ». Paris : Gallimard, 2001.

GRONDIN Jean. « L'universalité de l'herméneutique ». Paris : Puf, 1993.

POPPER Karl. « Conjectures and refutations ». London : Routledge Taylor&Francis group, 2008.

VIALLE Franck. « L'analyse de contenu. Une méthodologie de la recherche en première personne. 1–Témoignage de pratiques ». Brillouet : Editions du BéaBa, 2015.

 


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