Résumé : La prescription inclusive se fait entendre à l'échelle internationale, européenne et nationale depuis de la Déclaration de Salamanque de l'UNESCO en 1994 c'est à dire depuis près d'une trentaine d'années. Pourtant, malgré la mise en place concrète de dispositifs et de fonctionnements innovants, des obstacles sérieux persistent, à côté de pratiques manifestement inclusives. Quels sont ces obstacles ? Nous faisons l'hypothèse que la prise en compte du contexte conceptuel, sociohistorique, culturel et politique propre à chaque pays est nécessaire pour tenter de dépasser les difficultés. De quelles évolutions spécifiques les orientations actuelles sont-elles tributaires ?
Comparant les situations respectives de l'enseignement spécialisé en France et en République tchèque, notre communication présente les enjeux de la mutation actuelle des paradigmes. En République tchèque comme en France, l'approche inclusive est étayée par la définition de besoins éducatifs particuliers pour un public de plus en plus large. Cette terminologie, dont l'intention inclusive originaire est indéniable, se fait cependant de plus en plus floue à mesure que l'usage en est globalisé. Dans les pays d'Europe Centrale et Balkanique, elle peine à s'articuler à l'approche défectologique héritée de l'ère soviétique (à titre d'exemple, le concept organisateur de défectologie a été conservé officiellement en République tchèque jusqu'en 2004-2005). La notion de défaut, à mi-chemin entre le normal et le pathologique, augure les paradoxes de la (sur)compensation des manques. Comment situer, dans le contexte contemporain, qui est à la fois celui de l'inclusion globale, de l'accessibilisation et celui de la santé mentale à l'école, cette science du défaut ?
Les données sur lesquelles nous nous appuyons sont issues d'enquêtes à caractère ethnographique sur la situation tchèque, articulant les analyses de documents à des observations et des entretiens menés au long cours en République Tchèque depuis une dizaine d'années. L'étude vise à mettre en valeur l'accentuation de perspectives sanitaires, particulièrement en ce qui concerne la diversité socio culturelle (des populations Rom par exemple). Le souci louable mais parfois rhétorique de non-discrimination peut alors aboutir in fine à rabattre les conduites jugées déviantes sur l'anormalité pathologique du trouble mental, suivant des processus déjà identifiés par la recherche. Il y a pourtant du nouveau. Les objectifs inclusifs étant ainsi articulés à une psychiatrisation de l'école par la santé mentale, les contours de la professionnalité enseignante et de la formation se transforment de manière sensible. De nouvelles catégorisations sont proposées, qui sont autant de contraintes exercées sur la pratique professionnelle quotidienne. Sollicités, dans le cadre de la prévention primaire, pour dépister les troubles, comment les enseignants font-ils concrètement avec l'extension des nouvelles catégories et classifications ?
Regard réflexif :
La nécessité d'améliorer la scolarisation des élèves en grande difficulté et/ou en situation de handicap fait consensus au niveau des politiques publiques. Mais à quelles situations concrètes aboutit réellement l'injonction institutionnelle globalisée d'une école pour tous ? L'école pour tous est-elle une école pour chacun? Les perspectives comparatistes nous interpellent, spécialement dans les pays post-totalitaires : une communauté peut elle être inclusive ? Ne pourrions-nous pas penser plutôt qu'une éducation voire une société inclusive (Ebersold, Plaisance, Zander, 2016) est toujours fonction d'un contexte, au risque contre-productif d'être réduite à l'exercice d'une rhétorique de la totalité ?
Références bibliographiques :
Ebersold, S., Plaisance, E., Zander,C. (2016). École inclusive pour les élèves en situation de handicap : accessibilité, réussite scolaire et parcours individuels. Rapport scientifique de la Conférence de Comparaisons Internationales Handicap. Cnesco/CIEP. 28 et 29 janvier 2016.
Edelsberger, L., (2000). Defektologický slovník. [Dictionnaire de défectologie] Praha, H&H.
Funk, M. et al. (2010). Mental health and development : Targeting people with mental health conditions as a vulnerable group. WHO.
Gonon, F. (2011). La psychiatrie biologique : une bulle spéculative ? In Esprit, novembre 2011.
Gori, R., Del Volgo, M.-J., (2008). Exilés de l'intime. La médecine et la psychiatrie au service du nouvel ordre économique. Paris, Denoël.
Malet, R., Mangez, E. (2013). Éducation et mondialisation, Présentation du n° 51 de la revue Spirale. Éducation et mondialisation. http://spirale-edu-revue.fr/spip.php?article1135 (Consulté le 23/10/2015).