Cette communication vise à interroger l'entretien de recherche sous la focale de l'Ethique dans le contexte de la formation des Ingénieurs inscrits dans une école Hors Temps Ouvrable. Faisant l'expérience de plusieurs situations d'entretien lors de la conduite de la recherche, ces protagonistes se mettent chacun en scène, la relation à l'autre étant la condition même de l'entretien. (Haas et Masson, 2006) Mais au-delà des places inhérentes à cette situation de communication qu'est l'entretien de recherche, celle du sujet-chercheur et celle du sujet-objet d'étude, participant à la création d'une œuvre commune, la recherche, quelles sortes d'alter constitue le chercheur pour le sujet interviewé, le chercheur ne pouvant illusoirement conserver une objectivité absolue ?

Nous avons réalisé auprès de techniciens faisant fonction d'ingénieurs en entreprise et candidats au diplôme d'ingénieur des entretiens de type compréhensif autour des images de soi en tant qu'écrivant et professionnel, entretiens s'inscrivant dans une approche phénoménologique, dans une conception d'une « écriture du sensible » au langage de l'autre (Lebrument, 2012). La situation d'entretien est elle aussi pour le moins « sensible » puisque ces techniciens, en vue d'obtenir leur diplôme de fin d'études, sont soumis à la rédaction d'un écrit « paradoxal », c'est-à-dire un mémoire censé donner à voir qu'ils peuvent devenir ingénieur alors même qu'ils exercent le métier depuis plus de dix ans parfois. Le recueil du discours est complété par d'autres traces de subjectivité, comme celle de la tonalité et du rythme du discours – gestion des silences - (Bardin, 2007), celle de gestes de pensée (Calbris, 2003) et des indicateurs de proximité avec le chercheur, ceux des dimensions spatiales (lieux énonciation – travail, formation - et postures – face-face, profil, trois quart) et temporelles (moments et périodicité des entretiens). Ces entretiens sont à l'initiative des sujets, tout au long du processus d'écriture de leur mémoire de fin d'études, du démarrage de la rédaction du mémoire à sa soutenance, se renouvelant ainsi cinq à six fois sur une période de plus de dix-huit mois. Ce matériau fait ensuite l'objet d'une analyse de l'énonciation à travers l'étude des couplages de l'emploi des pronoms personnels – je, nous, il(s), on / tu, vous - (Charaudeau, 1992 ; Kerbrat-Orecchioni, 2006) en intégrant les dimensions spatiales et temporelles relevées au fil des entretiens.

Nous faisons l'hypothèse dans cette recherche que l'entretien constitue une altérité en acte, un dialogisme éthique, dialogisme désignant la « capacité de l'esprit humain de concevoir, créer et communiquer des réalités sociales en termes d'alter » (Markovà, 2005) et également « l'attention et la sensibilité à autrui ». (Sennet, 2015) La dimension éthique traverse cette situation et est comprise comme le contenu de la relation à l'autre, de la reconnaissance, du « souci de l'autre ». (Levinas, 1984)

Quelles figures de l'altérité cette recherche a-t-elle révélées ? Les premiers résultats montrent que le chercheur est tour à tour perçu pour les sujets comme un alter strict, un scientifique dépositaire du savoir sur l'objet de recherche annoncé, puis « au fil de l'eau » (face à face de grande proximité) un alter de proximité, voire un alter ego (un rédacteur, un scripteur d'un écrit universitaire). Il devient même un alter médiateur et passeur entre le sujet lui-même et l'autrui institutionnel. La relation de proximité convoque un quasi alter amical avec l'invitation parmi les proches à la remise officielle du diplôme comme un signe d'amitié clôturant ainsi « l'épreuve partagée » du mémoire d'ingénieur. (Cefai, 2006)

Lors de cette communication, ces différentes figures d'altérité seront présentées.

Mots-clés

Ethique ; dialogisme ; altérité; énonciation.

Bibliographie

Bardin, L. (2007). L'analyse de contenu. Paris : PUF.

Charaudeau, P. (1992). Grammaire du sens et de l'expression. Paris : Hachette Education.

Cefai, D. (2006). Une perspective pragmatiste sur l'enquête de terrain. In P. Paillé (dir).Une méthodologie qualitative, postures de rechercher et travail de terrain. Paris : Armand Colin.

Deprez, M. (2007). Chercheur cherche sujets : la recherche sur le terrain, l'éthique et la scientificité. Recherches qualitatives, hors-série n° 3.

Haas, V. & Masson, E. (2006). La relation à l'autre comme condition à l'entretien. Les cahiers internationaux de psychologie sociale, n° 71.

Lebrument, N. (2012). Une éthique en creux du chercheur qualitatif : une lecture merleau-pontienne. Recherches qualitatives, hors-série n° 12.

Levinas, E. (1984). Ethique et infini – Dialogues avec P. Némo. Paris : Le livre de poche, collection biblio essais.

Markovà, I. (2005). Le dialogisme en psychologie sociale. Hermès, 41, 25-31.

Sennet, R. (2015). Ensemble, pour une éthique de la coopération. Paris : Albin Michel.