Cette contribution se propose une analyse de la figure du grand-parent dans le cadre des relations avec la génération des petits enfants en visant une compréhension des modalités individuelles d'appropriation de ce rôle, telles qu'elles sont véhiculées dans la relation intergénérationnelle. Cela relève d'une réflexion en cours, basée sur une étude de cas, et qui a vocation à être affinée et développée sous forme d'enquête à plus grande échelle. Nous présenterons ci-dessous les repères épistémologiques et méthodologiques sur lesquelles elle s'appuie et, in fine, nous ferons émerger les questions auxquelles nous cherchons réponse. 

Cette analyse se rapporte à la recherche qualitative et, plus particulièrement, aux théorisations socio-constructivistes et au paradigme biographique en éducation. Ce dernier interroge les modalités de construction de soi du sujet dans l'espace contemporain, au travers de ses multiples inscriptions dans des contextes familiaux, sociaux, historiques et culturels (Delory-Momberger, 2009). Ces modalités singulières sont associées à des processus de (trans)formation de soi, qui s'appuient sur les inscriptions sociales de l'individu et sur la nécessité de permanente adaptation qu'elles lui imposent. L'évolution du contexte social entraine des tensions, auxquelles l'individu fait face en reconfigurant son propre contexte subjectif. Transformation de soi et du monde sont donc associées et cela notamment lors de passages, de moments charnières, qui imposent des interrogations sur la place occupée parmi les autres. Être grand-parent relève d'une telle nécessité de s'approprier une nouvelle place dans la famille, avec les fonctions et les rapports aux autres qui lui sont associés. Pour l'individu, il s'agit de trouver une concordance identitaire entre ses représentations de soi installées et celles que les autres significatifs et la société lui renvoient. Enfin, c'est autour de l'existence des petits enfants que ce nouveau statut se défini et se négocie dans les rapports avec les autres membres de la famille. Notre propos se situe au niveau de ce rapport et de ses enjeux pour la construction de soi dans la grande-parentalité. Ce qui nous intéresse est de considérer le processus de transmission intergénérationnelle comme un des principaux tenants autour desquels il s'instaure. 

Appréhendée comme une forme rituelle, la transmission peut participer à organiser la vie du groupe familial, ainsi que la place que chaque membre y occupe dans ses rôles et fonctions vis-à-vis des autres (Wulf, 2007). Dans le même temps, si nous adoptons la position de la recherche biographique, elle est susceptible également de participer à la construction de soi et à l'organisation de la réalité subjective de l'individu. La transmission sous toutes ses formes, crée dès lors une passerelle biographique entre soi et les autres générations, mais aussi entre soi et soi-même. Les modalités de constitution de cette passerelle sont singulières à chaque individu et elles se donnent à voir dans le récit. Outil méthodologique certes, le récit biographique est également un territoire social, partagé, dans lequel opère la construction de soi. Dans cet espace narratif, le parcours de vie est raconté pour être transmis, communiqué. Il reprend les évènements dans un ordre subjectif, déconstruit, car ce qui se transmet est surtout le sens, un sens qui appartient à l'individu, un sens identitaire, qui dévoile son histoire, telle qu'il se l'a appropriée. L'étude de cas citée concerne un récit de trajectoire professionnelle, raconté par une grande-mère à sa petite fille. Cette narration qui raconte toute une vie depuis l'enfance jusqu'à l'âge de la retraite, qui imbrique des souvenirs familiaux, sociaux et professionnels, se présente comme objet de recherche pour l'enquêteur qui se penche sur ses enjeux au regard de la (re)construction de soi en tant que grand-mère. Sur le plan méthodologique, nous viserons, dans une recherche future, un recueil plus ample de tels récits féminins intergénérationnels. L'objectif serait d'analyser les modalités de figuration de soi comme grand-mère dans ces récits qui se transmettent en héritage aux petits enfants.

Plusieurs séries de questions pourraient problématiser cette recherche. Dans le rituel de transmission intergénérationnelle, que transmet-on véritablement, pourquoi et comment? Est-ce uniquement l'histoire d'une vie ou est-ce également des figures d'un soi passé, contextualisé dans d'autres temps et espaces? Quelle place occupe la transmission dans la relation aux petits enfants et dans la construction continue d'une identité de grand-mère? Au niveau de l'espace narratif que constitue le récit qui est transmis, comment la narration s'organise-t-elle dans le cadre du rituel de transmission? Comment l'expérience de vie est-elle reconfigurée pour être adressée aux petits enfants? Enfin, comment - en reconfigurant son expérience - l'on se figure soi-même en tant que grand-mère?

Bibliographie générale

Attias-Donfut, C. (2008) “Les grand-parents en Europe: des nouveaux soutiens de famille”. Informations sociales 2008/5, n°149, 54-67. 

Delory-Momberger, C. (2009a) La condition biographique. Essais et récits de soi dans la modernité avancée. Paris : Téraèdre.

Jodelet, D. (2005) Formes et figures de l'altérité. Dans Sanchez-Mazas M. et Licata L. L'Autre. Regards psychosociaux (chap. 1, pp.23-47). Grenoble, France : Les Presses de l'Université de Grenoble

Segalen, M. (2000) “Enquêter sur la grand-parentalité en France”. Anthropologie et sociétés, vol. 24, n°3, 75-91.

Wulf, Ch. (2007). Une anthropologie historique et culturelle. Rituels, mimésis sociale et performativité. Paris: Téraèdre.