Dans un contexte de professionnalisation, le travail prescrit aux enseignants, quelle que soit leur discipline, s'est à la fois complexifié et élargi. En plus d'une reconfiguration des tâches « traditionnelles » relatives à l'enseignement et à la situation de classe, un investissement plus fort dans la vie de l'établissement avec davantage de travail collectif entre pairs et d'autres partenaires est désormais attendu. Alors que les incitations adressées dans ce sens se sont nettement renforcées, la mise en œuvre des innovations attendues peut s'avérer problématique (Maroy, 2006 ; Tardif et Lessard, 1999) avec un « écart » (Amigues et Lataillade, 2007) constaté entre pratiques prescrites et pratiques effectives.
Notre recherche se concentre sur les enseignants de langues-cultures étrangères et les difficultés qu'ils peuvent rencontrer à travailler ensemble en regard du rapport qui oppose natifs et non-natifs. Celui-ci, qualifié de dichotomique (Dervin et Badrinathan, 2011) et considéré comme caractéristique de leur culture professionnelle, est envisagé comme un des facteurs importants susceptibles d'affecter la mise en œuvre de « nouvelles » pratiques professionnelles collectives (Marcel et al., 2007) au sein d'équipes pédagogiques mixtes.
Notre communication propose un retour réflexif sur notre démarche de recherche de type ethnographique et compréhensif et la collecte de nos données empiriques correspondante dans une situation d'enquête qui ne s'est pas accompagnée d'une réelle « rupture avec l'ordinaire » (Beaud et Weber, 2008). En effet, les entretiens et observations se sont déroulés dans un établissement scolaire situé dans une grande ville de Turquie où nous avions vécu et travaillé en tant qu'enseignante, formatrice de formateurs et experte « native » en Français de Langue Étrangère avec des collègues « natifs » et « non-natifs » pendant près de 3 ans.
Au vu de ces expériences professionnelles et à partir des notes de notre journal de bord, nous analyserons la façon dont « l'interconnaissance » (Beaud et Weber, 2008) avec le terrain a été partiellement mise à distance par la revendication du statut de doctorante en Sciences de l'Éducation. Il s'agira d'examiner en quoi ce parti pris a influencé positivement les conditions d'accès au terrain et les rapports avec les enquêtés. Nous aborderons également les limites de la posture adoptée qui, si elle a permis d'enrichir le regard porté sur un objet de recherche étroitement lié à notre parcours professionnel et de conforter sa pertinence, n'a en revanche pas permis d'apporter de réponses concrètes aux problèmes rencontrés par l'équipe pédagogique au moment de notre observation.
Bibliographie
Amigues, R. et Lataillade, G. (2007). Le « travail partagé » des enseignants : rôle des prescriptions et dynamique de l'activité enseignante, communication au symposium Les pratiques enseignantes de travail partagé, AREF : Strasbourg.
Beaud, S., Weber, F. (2008). Guide de l'enquête de terrain, Paris : La découverte.
Dervin, F. et Badrinathan, V. (2011). Introduction : Un appel à « libérer » les enseignants de langues..., L'enseignant non natif : identités et légitimités dans l'enseignement-apprentissage des langues étrangères, sous la direction de Dervin F. et Badrinathan V., Bruxelles : éditions modulaires européennes, collection Proximités didactiques.
Marcel, J.-F. et al. (2007). Coordonner, collaborer, coopérer. De nouvelles pratiques enseignantes, Bruxelles : De Boeck Université
Maroy, C. (2006). Les évolutions du travail enseignant en France et en Europe : facteurs de changement, incidences et résistances dans l'enseignement secondaire. Revue française de pédagogie (Vol. 155), p. 111-142.
Tardif, M. et Lessard, C. (1999). Le travail enseignant au quotidien : expérience, interactions humaines et dilemmes professionnels. Bruxelles : De Boeck.