4-7 juil. 2016 Mons (Belgique)

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Ce que nous apprend l'analyse historique de l'invention des équations de l'électricité sur le dépassement des obstacles cognitifs par les étudiants
Raoul Sommeillier * , Frédéric Robert  1, *@  
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* : Auteur correspondant

Cadre de la recherche

Il existe des similarités entre le processus d'apprentissage et le processus d'innovation scientifique (Espinoza, 2005). Tous deux consistent en la construction de nouvelles connaissances, en la création et l'acquisition de modèles toujours plus performants pour représenter la réalité. Selon Clement, « Si la recherche peut être vue comme une création de savoir public, l'apprentissage peut être vu comme une création de savoirs privés » (Clement, 2006).

Nos précédentes recherches nous ont amené à formaliser le processus de rupture cognitive (dépassement par un étudiant d'un obstacle cognitif) par le biais d'un modèle simple et original. Celui-ci nous a permis de mieux comprendre ce processus et d'améliorer nos stratégies d'enseignement. Nous avons pu démontrer l'efficacité de cette analyse dans le cadre de séances d'exercices d'un cours de théorie des circuits à l'université (Référence masquée).

Selon cette représentation, une préconception n'est pas due à la mobilisation d'une connaissance intrinsèquement fausse mais à l'inadéquation du domaine de validité (les conditions d'application dans lesquelles le modèle est valide) qui lui est attribué. Afin d'aider l'étudiant à dépasser une telle préconception, il faut donc le mener à une expérience qui va l'amener à douter des limites de son modèle (et non du modèle lui-même). Suite à cet état de conflit cognitif (Brousseau, 1989 ; Duval, 1992), l'étudiant pourra envisager de restreindre la gamme de validité de son modèle initial tout en entamant la recherche d'un nouveau modèle plus performant. Cette opération de restriction apparait alors comme la nature même de la rupture cognitive.

Nous basant sur cette analyse et sur le lien entre les processus d'invention et d'apprentissage, est apparue la question de savoir si notre modèle de la rupture cognitive s'applique également (et dans quelle mesure) au processus d'innovation scientifique. Ceci pour mieux comprendre la dynamique à l'œuvre lors d'une invention et le cas échéant en retirer des éléments additionnels applicables aux processus d'enseignement.

Méthodologie

Pour tester cette hypothèse, nous avons confronté notre modèle à un ensemble de découvertes ayant eu lieu dans le passé. Le cas d'étude choisi est le développement des équations de Maxwell : au début du XIXème siècle, J. C. Maxwell a développé successivement différents modèles pour tenter d'expliquer les phénomènes électromagnétiques, jusqu'à ce que ces travaux convergent vers les équations éponymes bien connues aujourd'hui.

Une étude historique nous a permis de dégager une vue d'ensemble des étapes par lesquelles est passé Maxwell et de séquencer l'évolution de ses modèles en six phases distinctes (Campbell et Garnett, 1884 ; Cohen, 1985 ; Einstein, 1931 ; Levin et Miller, 1981 ; Maxwell, 1861 ; Maxwell, 1863 ; Maxwell, 1873 ; Maxwell et Niven, 1890 ; Rautio, 2014 ; Turnbull, 2013). Une fois les modèles successifs identifiés, nous avons analysé le domaine de validité de chacun des modèles, la nature de ceux-ci et les transitions entre ces derniers.

Résultats

En termes de gamme de validité, nous avons d'abord pu constater que la majorité des transitions suivies par Maxwell sont compatibles avec notre modèle de rupture cognitive. Cela nous a permis de confirmer l'analogie entre les processus d'apprentissage et d'innovation.

En analysant ensuite l'évolution de la nature des modèles successifs, nous avons été amenés à formuler l'hypothèse qu'un modèle (pour ce cas d'étude et plus largement en sciences exactes) possède trois composantes : expérimentale, mathématique et explicative («interprétation physique»). Cette dernière peut être vue comme la composition d'une image du monde qui soit compatible avec la description mathématique des résultats des expériences (Boyer et Barberousse, 2013). Si les trois composantes doivent in fine être compatibles, lors de l'élaboration d'un modèle celles-ci ne progressent pas de manière simultanée, ce qui nous a amené à définir plusieurs types de transitions. Nous avons observé chez Maxwell une propension à alterner entre deux démarches opposées: l'approfondissement d'une interprétation physique donnée comme guide pour développer le modèle, et l'abandon radical de celle-ci pour passer à une nouvelle interprétation contre-intuitive ouvrant une nouvelle étape de progression. L'attitude à adopter en cas d'obstacle épistémologique apparaît en finale exactement opposée à celle à adopter en l'absence d'un tel obstacle. Transposée en enseignement, cette conclusion explique en partie la robustesse des préconceptions et éclaire la manière dont peuvent être conçues des séquences d'enseignement où les préconceptions se révèlent particulièrement résistantes (travail centré sur la gamme de validité et alternance entre séquences de confiance et de méfiance vis-à-vis de l'interprétation physique). 

Regard réflexif 

Nous essayerons de mettre en évidence les éléments qui pourraient nous conditionner à rechercher dans le processus d'innovation scientifique des éléments déclencheurs de l'apprentissage chez l'étudiant. Des éléments de positionnement institutionnels mais aussi personnels seront proposés. Au vu de l'efficacité des résultats obtenus, on s'interrogera aussi sur l'absence générale de stratégies d'enseignement davantage centrées explicitement sur les préconceptions. 

Boyer T., Barberousse A. « Interpréter une théorie physique ». Methodos. Savoirs et textes [En ligne]. 23 avril 2013. n°13

Brousseau G. « Obstacles épistémologiques, conflicts socio-cognitifs et ingéniérie didactique ». In : Construction des savoirs (obstacles et conflits). [En ligne]. Colloque internationale CIRADE. Université de Québec, Montréal, Canada : N. Bednarz, C. Garnier (Eds.), 1989. p. 277-285.

Campbell L., Garnett W. The Life of James Clerk Maxwell: With Selections from His Correspondence and Occasional Writings. [s.l.] : Macmillan and Company, 1884.

Clement M. La situation de formation des enseignants du supérieur en Flandre. 2006.

Cohen I. B. Revolution in science [En ligne]. [s.l.] : Harvard University Press, 1985.

Duval R. « Argumenter, démontrer, expliquer: continuité ou rupture cognitive ». Petit x. 1992. Vol. 31, p. 37–61.

Einstein A. « Maxwell's Influence on the Development of the Conception of Physical Reality ». James Clerk Maxwell: A Commemoration. 1931. Vol. 1831,.

Espinoza F. « An analysis of the historical development of ideas about motion and its implications for teaching ». Physics Education. 2005. Vol. 40, n°2, p. 139.

Levin M. L., Miller M. A. « Maxwell's “Treatise on Electricity and Magnetism” ». USPEKHI FIZICHESKIKH NAUK. 1981. Vol. 135, n°3, p. 425–440.

Maxwell J. C. « On Physical Lines of Force ». The London, Edinburgh, and Dublin Philosophical Magazine and Journal of Science. 1861. Vol. 21, n°139, p. 161–175.

Maxwell J. C. « A Dynamical Theory of the Electromagnetic Field. » Proceedings of the Royal Society of London. 1863. Vol. 13, p. 531–536.

Maxwell J. C. A Treatise on Electricity and Magnetism [En ligne]. [s.l.] : Oxford : Clarendon Press, 1873. 504 p.

Rautio J. C. « The Long Road to Maxwell's Equations ». Spectrum, IEEE. 2014. Vol. 51, n°12, p. 36–56.

Turnbull G. « Maxwell's equations [Scanning Our Past] ». Proceedings of the IEEE. 2013. Vol. 101, n°7, p. 1801–1805



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