De nombreuses recherches ont souligné les effets négatifs du travail salarié sur la réussite à l'université, surtout lorsque cette activité est concurrente aux études et dépasse un certain nombre d'heures hebdomadaires (par exemple en France, Gruel et Tiphaine, 2004). La contrainte de temps peut conduire les jeunes à s'éloigner progressivement du métier d'étudiant tel que l'exige l'université et à décrocher. Cependant, les besoins d'autonomie et de ressources augmentent avec l'âge des étudiants. Le rapport aux études et au travail salarié peut évoluer tout au long du parcours dans l'enseignement supérieur. Si l'emploi salarié est au début considéré par les étudiants comme un complément pour améliorer leur niveau de vie, il apparaît progressivement comme une ressource indispensable pour financer la poursuite d'études et plus généralement la vie étudiante.
On peut faire l'hypothèse qu'à partir d'un certain seuil, la récurrence de l'emploi salarié s'impose comme une situation de "non-retour". La nécessité de disposer de ressources pérennes par le biais d'une activité salariée devient toujours plus impérative pour ces jeunes dont les chances objectives de réussite dans l'enseignement supérieur deviendraient progressivement quasi-nulles. L'exercice de cet emploi, puis l'abandon des études pourraient ainsi résulter d'un processus d'auto-sélection. Comme l'ont montré Duru Bellat et Mingat (1988) dans l'analyse des parcours et des choix de filière à l'université, de tels processus sont également le résultat d'une différenciation sociale qui aggrave les inégalités de réussite et qui se cumule, pour l'emploi salarié, avec les contraintes économiques qui pèsent sur leurs conditions d'études. L'emploi salarié pourrait alors apparaitre pour les étudiants les plus en difficultés comme la seule opportunité de réussite sociale que le diplôme ne permet plus (Pinto 2010).
Appréhender la complexité des trajectoires étudiantes nécessite d'utiliser des données de suivi d'étudiants sur plusieurs années. Ce sera l'option privilégiée dans ce travail qui s'appuie sur une post-enquête quantitative à l'enquête Conditions de Vie 2013 de l'Observatoire National de la Vie Etudiante, que nous avons réalisée en mars 2014 auprès de 5000 étudiants et qui ont été réinterrogés en mars 2015. Cette enquête porte en 2015 sur 2500 étudiants issus de cycle L en 2013 et est représentative au niveau français.
Nos premiers résultats montrent que près de trois étudiants sur quatre (72%), observés sur 3 ans, travaillent ou ont travaillé au cours de l'année universitaire. Inversement, seuls 28% de cet échantillon d'étudiants issus du cycle L l'année précédente n'ont jamais travaillé durant l'année universitaire. Les étudiants qui travaillent depuis plusieurs années se différencient assez sensiblement des autres, au niveau de l'intensité de leur activité salariée, de leur manière d'étudier et plus généralement de leurs conditions de vie. Ayant en général peu recours à des aménagements d'horaires (qu'ils existent ou non), les étudiant sont amenés à manquer des cours ou des TD, y compris obligatoires, ou encore à diminuer leur temps d'études et, évidemment, leur temps de loisirs. Ces impacts sur l'emploi du temps sont d'autant plus importants que l'activité est récurrente. 28% des étudiants travaillant depuis 3 ans disent manquer des cours obligatoires, proportion 4 fois plus élevée que chez les salariés récents. 60% des salariés depuis 3 ans étudient moins longtemps du fait de leur activité, et ceci tout au long de l'année, alors que c'est le cas de 40% des salariés depuis 1 ou 2 ans et de 30% des salariés récents. De même 7 salariés récurrents (2 ou 3 ans) sur 10 ont diminué leur temps de loisirs. Récurrence et intensité vont en général de pair et ont des conséquences sur le temps consacré aux études. Enfin, pour ceux qui travaillent depuis trois ans, cette activité salariée procure plus souvent du stress et un sentiment d'isolement. Ces étudiants sont également beaucoup plus nombreux à déclarer que l'emploi salarié leur est nécessaire pour vivre. Ils ont également plus de chances d'interrompre des études.
Cette communication s'inscrit dans le thème « évaluer ». Certains travaux supposent que le problème de l'échec à l'université peut être résolu à partir d'une amélioration des conditions pédagogiques. Cependant, les évaluations de tels dispositifs en France (comme le Plan Réussite en Licence) ont conduit à des résultats mitigés. Pour aller plus loin, on peut penser qu'il est nécessaire de prendre en compte l'hétérogénéité des caractéristiques, des contraintes et des représentations des étudiants en situation d'échec à l'université. Ce sera notre objectif en se focalisant sur des étudiants salariés qui ont des risques élevés d'échec. Cela nous conduira également à nous interroger sur la définition d'échec et de la réussite à l'université pour les étudiants atypiques (au moins dans les universités françaises).
Références
DURU-BELLAT M. & MINGAT A. 1988 “Les disparités des carrières individuelles à l'université : une dialectique de la sélection et de l'auto sélection”, L'Année sociologique-38, 309-340
GRUEL L. & TIPHAINEE B. (2004) Formes, conditions et effets de l'activité rémunérée, Éducation et formations, 67, 51–60
PINTO V. 2010 “L'emploi étudiant et les inégalités sociales dans l'enseignement supérieur”, Actes de la recherche en sciences sociales-183, 58-71