Cette communication a pour objectif de rendre compte du travail effectué sur la posture de recherche entrepris lors d'une thèse en sciences de l'éducation et de son impact tant sur les choix méthodologiques que sur les objets de recherches.
La thèse dont il est question a pour objet de mettre en lumière les pratiques éducatives qui participent à instaurer un environnement scolaire favorisant le bien-être de l'enfant à l'école, mises en place par des écoles se réclamant aujourd'hui encore du courant historique de l'Éducation nouvelle. La démarche, qui relève de l'approche socio-historique, invite à retourner aux sources de ces écoles afin d'en extraire les fondements de ce qui fait leur spécificité aujourd'hui, et s'attache à restituer des parcours d'individus ainsi que les rapports qu'ils nouent avec les institutions, en vue d'éclairer le présent à la lumière du passé. Entendue dans son acception de « mise en perspective historique d'une « réalité » étudiée dans son actualité », la socio-histoire permet, selon Antoine Savoye, de « mettre au jour la dimension diachronique de cette réalité1 ».
La période contemporaine de la thèse est interrogée sous la forme de recherches collaboratives entreprises avec les acteurs de terrain. Le cadre méthodologique utilisé dans l'enquête s'inscrit dans celui de la théorie enracinée2, dans la suite des travaux de la Grounded Theory de Glaser et Strauss qui invitent le chercheur, à partir des observations et du discours des sujets, à s'investir d'une réalité en prenant les principaux protagonistes comme guides, dans le but de faire émerger une théorie de la pratique. Son élaboration s'accompagne d'un cadre au sein duquel est posé le principe de la confiance, ce qui rend possible une co-construction commune des objets de recherche, élaborés au cours d'entretiens avec les enseignants ayant lieu dès en amont du temps de recherche lui-même. C'est au cours de ces entretiens que s'élabore également la posture des praticiens-chercheurs, qui leur permettra de prendre en compte leur rapport personnel à leur objet d'étude. De même, c'est en partant du principe que de ma position dépend la qualité de la recherche que je mène, que je réfléchis à ma posture : en quoi ma position personnelle influence-t-elle mon rapport avec mon objet de recherches, et mon rapport aux autres ? Ce travail apparait d'autant plus nécessaire que j'interviens dans l'école choisie comme principal terrain de recherches en tant que parent, puis enseignante dès lors que j'organise des visites avec mes étdiants futurs professeurs des écoles.
Nous verrons comment ce travail réflexif accompagne les questions de recherche et en quoi il influence les choix méthodologiques. Georges Devereux, qui utilise le premier la notion de contre-transfert dans les sciences humaines en affirmant que l'essence de la situation d'observation ne peut apparaître que si l'on prend en compte l'étude de l'observateur, nous indique que la subjectivité du chercheur, loin d'être un obstacle, doit au contraire être prise en compte comme participant de toute recherche des sciences du comportement :
L'avantage principal de notre système est de réintroduire, dans la situation expérimentale, l'observateur tel qu'il est réellement, non pas en tant que source de fâcheuses perturbations, mais en tant que source importante, et même indispensable, de nouvelles données comportementales pertinentes. Ceci permet l'exploitation des effets sui generis de l'observation sur l'observateur et l'observé tout à la fois, effets considérés ici comme des données clefs.3
Me regarder être vue en tant que chercheur par les enseignants de l'école de mes enfants, tout autant que me regarder reconnue par mes étudiants en tant qu'enseignante, me fait prendre conscience de mon changement de posture, et m'autorise à renverser mon objet de recherches, l'adulte, désormais placé au centre, retrouve sa responsabilité quant à l'enfant dont il a la charge, dans le cadre intergénérationnel au sein duquel Stiegler place le soin
que les hommes et les femmes sont capables de prendre des enfants – de leurs propres enfants aussi bien que de tous les enfants, précisément en tant qu'ils sont des enfants, c'est à dire des êtres structurellement mineurs.4
Ce renversement de mon objet de recherches s'accompagne d'un renversement de situation qui intervient dans la structure de ma thèse, rendu possible par le choix de la méthode régressive-progressive de Lefebvre. À mon premier choix d'exposé linéaire dans le temps, s'impose d'évidence l'exposé des écoles nouvelles telles qu'elles existent aujourd'hui comme point de départ, dont l'analyse permettra d'en retrouver la genèse dans le passé, avant d'essayer d'en projeter les possibles5.
Cette communication évoque les questionnements liés au regard réflexif sur la posture de recherche adoptée lors de recherches collaboratives en terrain connu : quelle place accorder aux histoires personnelles des chercheurs, comment s'articulent-t-elles entre elles, et en quoi ce questionnement participe à l'élaboration des objets de recherche ?
Devereux G. (1980). De l'angoisse à la méthode dans les sciences du comportement. Paris : Aubier.
Deulceux S., Hess R. (2009). Henri Lefebvre. Vie. Oeuvres. Concepts. Paris : Ellipses.
Savoye A. (2003). « Analyse intitutionnelle et recherches socio-historiques : quelle compatibilité ? ». L'Homme et la société. 2003/1 n° 147.
Strauss A., Corbin J. (2004). Les fondements de la recherche qualitative : techniques et procédures de développement de la théorie enracinée. Fribourg : Academic press Fribourg.
1Savoye A. (2003). « Analyse intitutionnelle et recherches socio-historiques : quelle compatibilité ? ». L'Homme et la société. 2003/1 n° 147, p. 133-150
2Strauss A., Corbin J. (2004). Les fondements de la recherche qualitative : techniques et procédures de développement de la théorie enracinée. Fribourg : Academic press Fribourg.
3Devereux G. (1980). De l'angoisse à la méthode dans les sciences du comportement. Paris : Aubier. p. 60.
4Op.cit., p.88.
5Deulceux S., Hess R. (2009). Henri Lefebvre. Vie. Oeuvres. Concepts. Paris : Ellipses. p.75.