Alors que la place des arts a toujours été présente dans les programmes français d'enseignement primaire et secondaire depuis le XXe siècle, l'instabilité des contenus, leurs fréquents changements d'appellation, leurs remises en question, témoignent d'une certaine fragilité.
Rappeler les bases socio-historiques de l'enseignement des arts plastiques permet de poser les jalons nécessaires à la compréhension de l'évolution de l'enseignement des arts à l'école.
Notre analyse s'ancre dans une sociologie des pratiques enseignantes et nous la situons dans la suite de nos travaux d'études universitaires. La sociologie de la justification (Boltanski et Thévenot, 1991) et la sociologie de la traduction (Callon, 1986) nous ont permis de comprendre ce qui se passe à l'intérieur de la boite noire des pratiques enseignantes dans le cadre de projets artistiques scolaires en partenariat avec un artiste intervenant.
La didactique des arts plastiques telle qu'elle est enseignée essaye de coller au plus près de la forme scolaire (Vincent, 1994). Sur le terrain, lorsque l'on observe les pratiques au cœur même du processus de recherche et de création artistique cela n'est plus autant prévu ni programmé comme les intentions l'envisageaient en amont.
Construire une réflexion socio-didactique en arts plastiques (AP) impose que l'on définisse le cadre ou plutôt le contexte fragile, dans lequel s'inscrit cet enseignement. Ce contexte est de surcroit original puisque l'absence de continuité et la succession de ruptures dans l'histoire de l'enseignement des AP est constatée. En terme de méthode, il est indispensable d'examiner comment les réalités pédagogiques en éducation artistique se constituent dans la durée. Le rythme lent des modifications des contenus d'enseignement rend nécessaire l'analyse historique.
En reprenant la réflexion de Bernard Lahire (2007) et en l'adaptant dans le champ des arts à l'école, l'enjeu est grand d'unir la sociologie et la didactique des arts afin de mettre en évidence que les savoirs artistiques ont une histoire, que les apprentissages s'inscrivent dans des contextes (notamment culturels sociaux économiques et politiques), que les apprenants ont des ancrages culturels et sociaux variés et que les appropriations des savoirs peuvent être socialement différenciés. Ainsi, le fait de déplacer voir d'effacer les frontières, c'est-à-dire d'unir le « contenu » des activités artistiques étudiées par la didactique des arts à la « forme » étudiée par la sociologie de l'éducation, jouerait un rôle de révélateur des faits sociaux et d'interdépendance de la pratique artistique dans la réalité sociale.
Dans le cadre d'une sociologie de l'éducation se préoccupant dorénavant de la question des savoirs, de leur transmission et de leur appropriation par des apprenants socialement différenciés, nous souhaitons décrire et analyser les processus concrets de production des échecs et des réussites dans les pratiques artistiques scolaires. Ainsi, nous nous penchons sur les cadres scolaires de la socialisation, sur les conditions institutionnelles de « transmission » des savoirs scolaires et sur la nature des savoirs enseignés. Pour Lahire (2007), la sociologie dite du « curriculum » dont la production est restée très largement théorique a rarement articulé les travaux sur la question des savoirs (la manière dont l'école sélectionne ce qui est légitime d'être enseigné, la mise en forme de ces savoirs, la hiérarchie des savoirs enseignés à l'école) avec celle de la « transmission » ou de l' « appropriation » effective de ces savoirs par des élèves socialement et culturellement différenciés.
C'est pourquoi, nous nous efforçons d'étudier conjointement les trajectoires des enseignants et des apprenants (avec ou sans artiste intervenant), leurs propriétés sociales, leurs stratégies, leurs intérêts, luttes et concurrences qui se jouent entre eux ainsi que la nature et la spécificité des pratiques artistiques et des savoirs qui se construisent et se déploient dans un monde scolaire socialement et culturellement différencié.
L'intérêt de cette ouverture socio-didactique, souligne Lahire (2007), est de prendre en compte des apprenants arrivant à l'école déjà dotés de savoirs ou de compétences de tous ordres et d'expériences d'apprentissage plus ou moins éloignées de la forme scolaire qui constituent autant de ressources ou d'obstacles à l'appropriation des savoirs en situation scolaire. La vérité de l'interaction didactique, en détournant une formule de Bourdieu (1987), n'est jamais toute entière contenue dans l'interaction telle qu'elle se livre à l'observation et que par conséquent, les difficultés, malentendus, dialogues de sourds et incompréhensions ne sont pas inscrits dans la logique de la situation didactique. Comme le souligne Dubet (2009), les différentes théories sociologiques se sont attachées à montrer que la vie sociale est structurée par des normes et des rôles, des intérêts individuels ou encore le jeu des interactions sans vraiment réussir à penser ensemble toutes ces dimensions. Ainsi notre objectif est de réussir à montrer et à penser simultanément que la vie scolaire en situation de pratique artistique est structurée par des normes et des rôles, des intérêts individuels et des interactions. Qu'en est-il dans le champ de la recherche en éducation artistique ? Nous avons voulu orienter notre réflexion sur la place du sociologique dans l'enseignement et sa prise en compte dans les recherches didactiques en arts. Nous nous sommes intéressés à la prise en compte des effets du contexte socioculturel dans les recherches sur le système didactique en éducation artistique. L'objet de cette étude est de s'interroger sur les possibilités et les limites d'une interprétation sociologique du curriculum en éducation artistique.
Regard réflexif (Proposer) : Comment opérer le lien entre des questions propres à la sociologie et des questions propres à la didactique, sur des objets, des sujets et des dispositifs éducatifs communs en éducation artistique ?