4-7 juil. 2016 Mons (Belgique)

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L'appartenance territoriale et les origines. Deux études sur la discrimination positive dans l'enseignement supérieur français et argentin
German Fernandez Vavrik  1, *@  
1 : Observatoire sociologique du changement social  (OSC - Sciences Po)  -  Site web
CNRS : UMR7049
27, rue Saint-Guillaume 75337 Paris Cedex 07 -  France
* : Auteur correspondant

Les valeurs de la différence et de la diversité, mobilisées notamment à propos des politiques migratoires et d'intégration de groupes défavorisés, ont gagné droit de cité dans des sociétés caractérisées par leur tradition politique égalitaire et universaliste (Koopmans, 2005; López Caballero, 2011; Briones et al., 2006). Depuis les années 2000, cette tendance est observable plus nettement dans les agendas des politiques publiques scolaires en Amérique latine et en Europe (Frandji & Rochex, 2011; Mato, 2009; Rojo Martín, 2010; van Zanten, 2010). Ces valeurs de la différence et de la diversité ont été contestées par une partie de ceux/celles qui s'identifient aux valeurs et aux idées associées à la scolarisation comme un service public. 

Je propose un regard croisé sur l'Argentine et la France, en me focalisant sur certaines transformations récentes dans l'enseignement supérieur, orientées par les valeurs de la reconnaissance et de la diversité. Des différences importantes existent entre les systèmes scolaires des deux pays, notamment en raison de la plus faible institutionnalisation en Argentine de voies scolaires sélectives (Ziegler & Gessaghi, 2012). Cela entraîne des mécanismes divergents quant à la mobilité sociale des secteurs populaires et quant à la formation des élites dans ces pays. Par ailleurs, le regard croisé permet de distinguer des particularités locales concernant la manière de s'approprier les principes de la discrimination positive dans l'enseignement supérieur.

Néanmoins, les deux pays ont connu des changements homologues et contemporains concernant les politiques de lutte contre les inégalités dans l'enseignement supérieur. Sans proposer une approche comparatiste stricto sensu, le regard croisé semble pertinent en raison de la similitude des conditions institutionnelles, notamment la tradition d'un État social fort et l'appel permanent au cadre égalitaire et universaliste des politiques publiques. 

Suivant une approche ethnographique et praxéologique (Cefaï, 2010; Mondada, 2003), mon analyse se base sur deux recherches à propos de la discrimination positive. Dans le cadre de mon doctorat (2007-2014), la première recherche traite de l'expérience des acteurs — des responsables, des enseignants et des boursiers — d'un programme de discrimination positive à l'Université de Cuyo. Il s'adresse à des élèves amérindiens et de milieux ruraux de Mendoza. La seconde recherche, appuyée sur un postdoctorat en course en France, porte sur le programme d'« ouverture sociale » que mène Sciences Po avec une centaine de lycées défavorisés, la Convention d'éducation prioritaire (CEP). Il s'agit de restituer l'expérience des jeunes de la banlieue parisienne visant une promotion sociale via l'enseignement supérieur sélectif. Les recherches se basent sur des observations dans les deux terrains, ainsi que sur des entretiens et sur l'analyse documentaire. Par ailleurs, concernant l'enquête en Argentine, j'ai réalisé des enregistrements audiovisuels dans une salle de classe. 

Le point central de mon analyse est la problématique commune à laquelle font face les acteurs des deux programmes concernant la catégorisation des bénéficiaires: la discrimination positive dans les deux établissements se configure avec le but de gérer une tension fondamentale entre l'appartenance territoriale et les origines ethnoraciales. Pour comprendre l'expérience des personnes impliquées dans les deux programmes, je rends compte des conditions politiques en Argentine et France ayant rendu pensable la mise en place de mesures qui s'éloignent du cadre égalitaire traditionnel.

Par rapport au thème transversal du congrès, ma démarche est compréhensive (axe d'interrogation 1). L'internationalisation de la production scientifique, les difficultés de « traduction » des problèmes culturels et scolaires locaux ainsi que l'imposition de cadres de recherche transnationales ont été les principaux problèmes auxquels je me suis confronté dès le début de mes enquêtes croisées. Ces problèmes ont constitué les conditions de départ de mes recherches. D'une part, ces conditions ont été contraignantes, en ceci qu'il est très difficile de mener en Argentine et en France une recherche sur les politiques de lutte contre les inégalités sans une attention particulière aux injonctions multiculturalistes sur la diversité et la reconnaissance. D'autre part, ces conditions m'ont permis d'établir une certaine distance par rapport aux problématiques dominantes dans les deux espaces nationaux. Celles-ci se focalisent notamment sur les résultats et les classements scolaires, ainsi que sur les informations statistiques et les mécanismes de régulation du système scolaire.

Références

- Briones, C. (2014). La question indienne en Argentine : entre le néolibéralisme, le national-populaire et le néo-développementisme. Actuel Marx, 2(56), 85‑96.

- Cefaï, D. (2010). L'engagement ethnographique. Paris: Éd. de l'École des hautes études en sciences sociales.

- Doytcheva, M. (2010). Usages français de la notion de diversité : permanence et actualité d'un débat. Sociologie, 1(4), 423‑438.

- Frandji, D., & Rochex, J.-Y. (2011). De la lutte contre les inégalités à l'adaptation aux «besoins spécifiques». Éducation & formations, 8, 95–108.

- Koopmans, R. (Éd.). (2005). Contested citizenship: immigration and cultural diversity in Europe. Minneapolis: University of Minnesota Press.

- López Caballero, P. (2011). Altérités intimes, altérités éloignées : la greffe du multiculturalisme en Amérique latine. Critique internationale, 2(51), 129‑149.

- Mato, D. (éd.). (2009). Instituciones interculturales de educación superior en América Latina: procesos de construcción, logros, innovaciones y desafíos. Caracas: Instituto Internacional de la Unesco para la Educación Superior en América Latina y el Caribe.

- Mondada, L. (2003). Observer les activités de la classe dans leur diversité: choix méthodologiques et enjeux théoriques. In J. Perera, L. Nussbaum, & M. Milian (éd.), L'educatió lingüística en situacions multiculturals i multilingües. Barcelona: ICE Universitat de Barcelona.

- Rojo Martín, L. (2010). Constructing inequality in multilingual classrooms. Berlin: De Gruyter Mouton.

- van Zanten, A. (2010). L'ouverture sociale des grandes écoles: diversification des élites ou renouveau des politiques publiques d'éducation? Sociétés contemporaines, (79), 69‑95.

- Ziegler, S., & Gessaghi, V. (Éd.). (2012). Introducción. Dans Formación de las elites: investigaciones y debates en Argentina, Brasil y Francia. Buenos Aires: Manantial.

 


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