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L'usage des technologies de l'information et de la communication incite à un effacement des frontières des activités des acteurs de l'enseignement supérieur, par une dispersion géographique de leur profession. C'est pour répondre à la volonté d'enseignants et d'enseignants-chercheurs souhaitant maintenir leurs enseignements en présentiel tout en étant distant géographiquement que nous avons choisi d'étendre les expérimentations d'usage d'un robot de téléprésence au sein d'établissements universitaires. Ce robot est doté d'un système semblable à de la visioconférence. Monté sur roues, il mesure un mètre soixante et dispose d'un écran dix-sept pouces. L'envoi des commandes est effectué par l'interface de pilotage téléchargée sur l'ordinateur de l'enseignant. Elle permet le déplacement du robot à distance grâce au réseau Wi-Fi, une visualisation de l'environnement distant et une communication en synchrone. L'interface de pilotage propose diverses fonctionnalités (réglage du micro et des haut-parleurs, zoom, partage d'écran, etc.). Le visage de l'enseignant apparaît sur l'écran du robot grâce à sa webcam.

Les technologies de l'information et la communication amènent à repenser les concepts de présence et de distance dans des contextes pédagogiques (Licoppe, 2012 ; Develotte, Kern et Lamy, 2011 ; Jézégou, 2010). Cette nouvelle configuration pédagogique interroge également la notion de co-présence de l'enseignant et des étudiants dans une relation éducative (Houssaye, 1988) médiée par un robot de téléprésence. Les dispositifs de téléprésence dans l'éducation aspirent à traduire les différentes conditions de la présence des acteurs distants, à travers diverses modalités de communication. Néanmoins, la présence est multimodale et polysémique, elle est alors non réductible à sa condition d'un corps pris dans une unité de temps et de lieu. Licoppe (2012) considère la présence comme un processus dynamique et situé qui repose sur un engagement de la personne dans une situation, en s'appuyant sur des compétences interactionnelles que les individus doivent déployer sans cesse pour participer aux situations. La présence est également entendu dans sa dimension intellectuelle, psychologique ou encore incarnée (Guir, 2002 ; Lebreton, 2013). Jézégou (2010) définit la présence pédagogique comme le rôle de soutien à la présence socio-affective et cognitive en permettant un étayage et en favorisant les transactions entre les étudiants. Ainsi, l'enseignant joue un rôle de médiateur entre à la fois le savoir et les étudiants et à la fois entre les étudiants, dans une structuration de l'environnement dont la souplesse oscille dans une forme de distance que Bouchard (2000) nomme transactionnelle. Cette dimension relève également des modalités interactionnelles à l'œuvre dans la situation pédagogique. L'enseignement médié par un dispositif de téléprésence induit quant à lui une mise à distance corporelle et perceptive de l'enseignant avec ses étudiants. Or, c'est par ses perceptions sensorielles que l'individu interprète les éléments de son environnement et interagit avec lui. Les données sensorielles et proprioceptives constituent le schéma corporel de l'individu qui, étendu dans sa dimension symbolique, lui permet de se situer corporellement dans un environnement distant (Kleinpeter, 2014). Alors que Merleau-Ponty (1996) juge notre perception somatique comme non intentionnelle et implicite, l'utilisation du robot de téléprésence vient modifier les sens perceptifs et proprioceptifs de l'enseignant et nécessite alors de produire des actions de manière réfléchie et explicite. Il s'agit alors de construire de nouvelles relations à l'autre dans une modalité interactionnelle singulière à la situation de présence à distance. L'élaboration de ces relations singulières réclame de nouvelles compétences de la part de l'enseignant et de ses étudiants. Afin d'apporter une compréhension à cette situation pédagogique médiée, nous choisissons d'envisager le robot comme un instrument au sens de Rabardel (1995) dont l'approche instrumentale situe l'instrument comme un intermédiaire entre le sujet et l'objet sur lequel porte l'action, en devenant un moyen pour aboutir à cette action. L'instrument est élaboré par l'acteur dans un processus de genèse instrumentale, qui résulte d'une évolution de l'instrument. L'utilisateur s'approprie l'instrument au cours de la genèse instrumentale qui est orientée à la fois vers l'artefact dans un processus d'instrumentalisation et à la fois vers l'utilisateur lui-même dans un processus d'instrumentation. La question centrale de notre recherche est de comprendre dans quelle mesure la présence de l'enseignant, matérialisée par un robot de téléprésence, nécessite de développer de nouvelles compétences interactionnelles au cours du processus d'appropriation des fonctionnalités du robot. Pour recueillir nos données et rendre compte des interactions entre l'enseignant et ses étudiants dans une situation pédagogique, nous avons mené des observations filmées d'enseignements donnés par un enseignant distant utilisant le robot. Des entretiens post-activité menés avec l'enseignant nous permettent à la fois d'appréhender la manière dont les fonctionnalités de l'interface de pilotage sont utilisées dans l'activité interactionnelle de l'enseignant mais aussi d'entrevoir les sens impliqués dans la relation éducative médiée par le robot. Nous nous intéressons alors aux usages que l'enseignant fait des fonctionnalités du robot pour répondre aux éléments de son environnement et manifester des signes de sa présence. Nous tentons de comprendre le choix de la fonctionnalité, le moment auquel il intervient dans l'activité et son but. La présence à distance interroge la co-présence, c'est pourquoi nous souhaitons mettre en lumière la manière dont l'enseignant est présent à ses étudiants. Nous souhaitons comprendre comment ses étudiants interprètent les signes de sa présence et ses effets sur les représentations qu'ils ont de la présence psychologique, intellectuelle et éducative de leur enseignant. Afin d'atteindre ces dernières dimensions, nous avons soumis un questionnaire en ligne aux étudiants. Les premiers résultats permettront de comprendre si l'usage des fonctionnalités permet de déployer une forme d'extension du schéma corporel et sensori-moteur de l'enseignant pour manifester sa présence incarnée par un robot. Nous attendons des résultats relatifs aux modalités de la communication et la manière dont elles évoluent pour se stabiliser dans un processus d'instrumentation. Les données révèleront la façon dont l'enseignant utilise les propriétés du robot en les contournant ou les détournant, pour manifester une forme de présence.