4-7 juil. 2016 Mons (Belgique)

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La durée de vie des psychologues en soins palliatifs ? Entre histoire de vie et formation du psychologue.
Emilie Ghyssens  1@  
1 : Centre de recherche en éducation de Nantes  (CREN)  -  Site web
Université de Nantes : EA2661
Chemin de la Censive du Tertre BP 81227 44312 Nantes cedex 3 -  France

Voilà un titre bien provocateur pour questionner une réalité de terrain : comment faire pour travailler dans une clinique de l'extrême où l'on se confronte à l'accompagnement des personnes mourantes, quand la mort et le chagrin sont une rencontre quotidienne. Comment y perdurer sans pour autant se perdre ?

A l'heure où les problématiques de burn-out émergent régulièrement dans notre société, est-ce que les soignants et les psychologues ne sont pas en première ligne et donc d'autant plus exposés à la fragilité et à l'épuisement professionnel ? D'autant que la société, selon la théorie de Bauman Z., est "une société liquide" dans laquelle l'être humain tente de trouver sa place, mais où il est consommé, utilisé et jeté au gré des besoins des institutions. Le psychologue doit faire face à la précarité du travail et du temps de travail, cumulant, au mieux, quelques temps partiels. Cette réalité ne lui permet pas toujours de "choisir" ses postes.

C'est dans le cadre de ma thèse en Sciences de l'Education que j'ai pu commencer à questionner la place et la "durée de vie" des psychologues en soins palliatifs. Cette recherche vient d'un double questionnement : un questionnement personnel émergeant après plusieurs années de pratique dans ce service, et un questionnement plus global abordé par le Collège National des Psychologues en Soins Palliatifs, tentant de mettre en place un référentiel des pratiques, et qui, par voie de conséquence, interrogeait la formation des psychologues en soins palliatifs.

A la lumière des récits de vie et de leur fonction formatrice développée par G. Pineau, mon travail de recherche se base sur la rencontre avec des psychologues exerçant en soins palliatifs. En utilisant des entretiens clinique-dialogique (Lani-Bayle, 2010), la rencontre avec les psychologues va permettre une co-construction de savoir permettant de faire émerger une compréhension du processus de construction identitaire du psychologue. Cette co-construction permet la réflexion individuelle par rapport à son propre récit de vie venant expliciter un choix professionnel et la réflexion plus globale concernant la formation des psychologues, qui consisterait à s'interroger sur l'importance d'avoir vécu des situations pour pouvoir les accompagner. 

Certains patients nous exposent clairement la problématique : "Vous ne pouvez pas comprendre, vous ne vivez pas ce que je vis", qui fait écho au discours d'un des psychologues rencontré : "Et la seule vraie question - qui n'est pas vraie que pour les psychologues, d'ailleurs - : est-ce que j'ai suffisamment vécu dans ma vie pour faire du palliatif ? Est-ce que j'ai une assise clinique suffisamment stable pour pouvoir m'autoriser à aller dans ce domaine là ?(...). Est-ce que j'ai la possibilité d'avoir un regard distancié sur les situations ?".

Alors, il faut bien puiser dans une expérience intime faisant référence à la notion d'éprouvé et du vécu des épreuves pour transformer son histoire en un cadre référentiel permettant d'accompagner les personnes en fin de vie. Ainsi, la mort ne sera jamais un espace d'expérience pour soi, ce n'est que celle des autres à l'image de Jankélevitch qui évoque cette question dans la mise à distance de l'autre par le "Il". Le "Je" devenant la mort de soi et par conséquent, l'espace a ne pas expérimenter ou le plus tard possible. 

Cette question de recherche a donc plusieurs implications personnelles, la première étant en lien avec ma propre pratique en soins palliatifs, alors même que je décidais d'y mettre un terme au moment où je commençais ce travail de recherche. La réalité que j'y ai vécue et l'histoire qui m'y a menée sont des éléments déclencheurs importants de mon parcours de formation, formation qui s'achève ou commence avec ce doctorat ...

Mon statut de jeune chercheur en reprise d'études ne dépendant d'aucun financement me permet d'explorer un champ novateur indépendant de toutes contingences politico-universitaires. Ainsi mon travail souhaite faire émerger une réflexion sur la formation des psychologues et, peut-être, apporter un éclairage sur la fonction formatrice de la réflexivité sur sa propre histoire de vie. Cette fonction est déjà utilisée par les psychothérapeutes lorsqu'ils font leur formation par supervision, mais qu'en est-il de la nouvelle formation universitaire des psychothérapeutes ? Formerons-nous des théoriciens de la thérapie qui ne seront pas à même de relier la théorie à l'éprouvé, à la personne, c'est à dire à soi ou l'autre ?

 

Jankélevitch V. (1977), La mort, Malherbes : Flammarion, coll Champs Essais.

Pineau G., Lani-Bayle M., Schmutz C. (2011), Histoires de morts au cours de la vie, Paris : l'Harmattan.

Bauman Z. (2013), La vie liquide, Paris, Pluriel.

 


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