4-7 juil. 2016 Mons (Belgique)

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Le récit d'enfants pour évaluer l'école
Bruno Hubert  1@  , Raphaelle Lavenant, Manuela Braud@
1 : Centre de recherche en éducation de Nantes  (CREN)  -  Site web
Université de Nantes : EA2661
Chemin de la Censive du Tertre BP 81227 44312 Nantes cedex 3 -  France

Pourquoi nous passerions-nous de la parole des principaux acteurs pour évaluer le système scolaire ? Pourtant, en France, la réflexion sur l'école ne prend guère en compte ceux qui la vivent, comme le regrette Gilles Brougère (2007) : « donner davantage la parole aux parents, enfants et professionnels de la petite enfance, les entendre et faire entendre leur voix ». Notre recherche se propose de montrer la faisabilité, la pertinence et l'indispensabilité du récit d'enfant qui, par l'expression des vécus singuliers, peut contribuer à construire l'expérience de vie du sujet, en favorisant son bien-être à l'école et sa relation à l'apprentissage. Sur le plan théorique, nous nous situons à cet égard dans la lignée des auteurs qui ont montré l'importance de la fonction narrative (Ricoeur, Bruner, Cyrulnik, Meirieu, Cifali...) et notamment dans le champ des histoires de vie (Pineau, Dominice, Le Grand...), mais il est vrai plutôt pour des adultes. Nous souhaitons aussi recueillir des éléments sur les capacités d'auto-évaluation des élèves.

Deux méthodologies complémentaires ont été utilisées : 80 entretiens individuels ont été effectués avec deux classes de Cours Elémentaire 1 (enfants de 7-8ans) et une classe de Cours Moyen 2 (autour de 10 ans) dans une école de Réseau Education Prioritaire, ces entretiens ont tous été filmés. Il a été proposé aux enfants d'expliquer à un petit martien comment cela se passait pour eux à l'école avec un étayage de questions du type « ça sert à quoi, l'école, à ton avis ? » ou « Que penses-tu de tes résultats ? » ou encore « Si tu avais une baguette magique, qu'est-ce qu'il faudrait qu'il se passe ou que tu fasses pour que cela aille mieux ? ». Des entretiens ont ensuite été réalisés avec les trois enseignantes, ce qui a permis de croiser la perception des élèves avec celles de leur professeure. Un autre travail a été mené de manière plus longitudinale avec trois enfants de Clis (éleves relevant de l'enseignement spécialisé) à qui on a aussi demandé la manière dont il vivait l'école par l'entretien et le dessin. La méthodologie se réfère pour les deux terrains à l'entretien clinique-dialogique défini par Martine Lani-Bayle (2014) comme « ayant mission d'éveiller l'expression de l'autre en manifestant une curiosité envers lui », l'interlocution par le biais du martien agissant comme « un espace transitionnel projectif et sécurisant à la Winnicott ».

Par l'analyse qualitative des entretiens, nous pouvons affirmer que les enfants ont à dire sur leur propre parcours et que cette parole est porteuse de savoirs sur eux-mêmes et sur le système scolaire : quand Gaylord dit que dans la classe ordinaire, la maîtresse « elle voulait qu'on fasse vite, pis moi, euh, j'restais derrière à écrire, ben j'restais à ma place et puis j'écrivais et quand j'avais terminé j'allais montrer sur la cour à la maîtresse », il se révèle à la fois lucide sur ses difficultés et sur la souffrance qu'il a connue pendant ces récréations. Une grande détresse d'enfants aux besoins affectifs, cognitifs et sociaux bafoués (Pourtois et Desmet, 2007) transparaît de nombreux entretiens : « Avant j'étais à la campagne... Là-bas j'ai subi du racisme parce que je suis français d'origine tunisienne. On me disait ˵sale arabe, retourne dans ton pays˶, des choses comme cela. Ici il y a différentes couleurs, là-bas j'étais le seul étranger » (Rayan, CM2) ou « J'aime pas quand on me fait du mal dans la cour (Shaina, CE1).

Par ailleurs, beaucoup d'enfants peinent à percevoir le sens de activités scolaires : « L'école ça sert à travailler et à se faire des amis » (Lehyan, CE1) même si la majorité d'entre eux a intégré la pression sociale qui entoure la scolarité (Bautier, Charlot, Rochex, 1993) : « L'école, ça sert à apprendre des choses, à savoir compter, à savoir écrire et lire, des choses qui peuvent nous servir pour le collège... si on veut faire un bon métier, pour qu'on réussisse notre vie...

I : Pour toi l'école c'est que pour plus tard ?

Oui

I : C'est pas pour maintenant ?

J'ai pas l'impression... » (Ann Lys, CM2)

Et ce qui apparaît très fortement dans notre corpus, c'est le poids que constitue l'évaluation, même si celle-ci n'est pas toujours bien comprise : « J'aime pas quand c'est difficile parce qu'après j'ai des E. E ça veut dire pas bien... on doit réapprendre. A ça veut dire très bien. Bien ça veut dire moyen. C ça veut dire moyen bien et B ça veut dire pas trop et E même pas bien... » (Rayanna, CE1).

Même s'il ne s'agit pas de prendre tout ce que les enfants disent à la lettre, ceux-ci nous donnent des pistes pédagogiques mais aussi didactiques que nos analyses répertorient dans une perspective d'évaluation du système scolaire visant à réhabiliter une parole en classe qui intègre une démarche de récit à la première personne. Les questions auxquelles nous cherchons réponses – thème du colloque – sont celles posées par les acteurs, dans leur singularité, singularité que la recherche actuelle peine quelquefois à appréhender.

 

 

 

BAUTIER, E., CHARLOT, B. & ROCHEX, J.Y. (1993). Ecole et savoir en banlieue et ailleurs. Armand Colin.

BROUGERE, G. & VANDENBROECK, M. (dir.) (2008). Repenser l'éducation des jeunes enfants, Pie Peter Lang.

BRUNER, J. (2002). Pourquoi nous racontons-nous des histoires ? Retz

LANI-BAYLE, M. & PASSEGGI, M. (2014). Raconter l'école. A l'écoute de vécus scolaires en Europe et au Brésil, L'Harmattan.

POURTOIS, J.-P. & DESMET, H. (2007). L'éducation facteur de résilience in CYRULNIK, B. & POURTOIS, J.-P. Ecole et résilience. Odile Jacob, p.85 à 103. 

RICOEUR, P. (1983-1985) Temps et récit (3 tomes), Seuil.

WINNICOTT, D. (1971). Jeu et réalité. L'espace potentiel. Gallimard.

 

 

 

 


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