4-7 juil. 2016 Mons (Belgique)

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La production de connaissances scientifiques en éducation au Québec: entre résonnance politique et résonnance du politique
Christelle Lison  1@  , Isabelle Lacroix  2@  
1 : Université de Sherbrooke  (UdeS)
2 : Université de Sherbrooke

En octobre 2013, le précédent gouvernement québécois déposait sa plus récente politique nationale de la recherche et de l'innovation (2014-2019). Selon le texte gouvernemental, cette politique répondrait aux demandes de longue date des principaux acteurs: "Les grandes avancées ne sont possibles que dans la durée. Le monde de la recherche en est bien conscient et réclame depuis longtemps de pouvoir miser sur le temps. La PNRI répond à cette attente. Elle guidera les actions de l'État québécois pour les cinq prochaines années. Cela répond à une demande de longue date des chercheurs et de la communauté scientifique." (Ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie, 2013, p. 8). Notons que cette politique québécoise n'est pas la première en cette matière. En effet, le gouvernement québécois reconnaît, depuis quelques décennies déjà, à la fois l'importance de l'enjeu du développement scientifique et de l'innovation, et à la fois sa responsabilité à traiter cette question à partir de l'angle de l'action étatique collective qui lui incombe. 

Si tous les secteurs de l'activité scientifique sont concernés par l'intervention de l'État en vue de favoriser l'innovation et de faire du Québec une société du savoir plus prospère, ce sont les secteurs rattachés aux sciences humaines et sociales qui nous ont davantage interpelées. En effet, si le lien entre une politique de la recherche et de l'innovation et les domaines de la science, du génie et de la technologie semble aller de soi, qu'en est-il de la contribution des sciences humaines et sociales? Qu'attend-on des chercheurs de ces champs? Quels objectifs et quelles orientations y attache-t-on? Au fil de nos réflexions, deux questions plus spécifiques se sont posées. Dans quelle mesure les politiques gouvernementales relatives à la recherche et l'innovation se préoccupent-elles de la contribution des sciences de l'éducation? Et quelle résonnance ces mêmes politiques peuvent-elles avoir sur la production scientifique en éducation?

Ces questions nous semblent légitimes dans la mesure où le Québec, comme d'autres états, mise depuis de nombreuses années sur le développement d'une économie du savoir reposant sur une société éduquée et innovante. Il nous apparaît donc incontournable que les sciences de l'éducation deviennent dans ce contexte un des outils de développement ciblés, parmi d'autres, mobilisés en vue de cette visée. Le double objectif de ce texte est ainsi de faire ressortir le rôle ciblé des sciences de l'éducation dans les dernières politiques de la recherche et de l'innovation du gouvernement du Québec et de voir si ces visées gouvernementales, bien présentes dans le discours, se transposent dans la recherche produite en éducation dans les années suivant les énoncés de politiques.

Après avoir défini les concepts de politique publique et de politique de la recherche et de l'innovation, nous regardons l'effet des politiques de la recherche et de l'innovation sur l'environnement de la recherche en analysant l'évolution des thématiques abordées par les chercheurs en éducation, et ce, dans la logique de la théorie systémique développée par Easton (1974) et directement appliquée à l'étude des politiques publiques de Lemieux (2009). Selon cette approche, l'analyse des politiques publiques repose donc sur l'observation des effets des politiques sur l'environnement et de l'environnement sur la production des politiques publiques. Nous cherchons donc à voir comment les priorités gouvernementales font l'objet, ou non, des projets de recherche subventionnés par le fonds public québécois et s'il y a une résonnance entre le discours de l'un, l'acteur politique, et la concrétisation par l'autre, le chercheur.

Concrètement, nous avons d'abord procédé à une analyse de contenu des quatre dernières politiques contemporaines touchant la recherche et l'innovation au Québec pour en faire ressortir les grandes orientations, les grands axes et les objectifs principaux. Plus précisément, la lecture attentive des textes a permis de faire émerger deux composantes, d'abord les grands objectifs de chacune des politiques et, ensuite, les priorités relatives aux sciences humaines et sociales, dont les sciences de l'éducation. Ensuite, nous avons analysé les titres et les résumés des projets de recherche ayant fait l'objet de financement par le fonds public québécois, et plus spécifiquement dans le cadre du programme Éducation, Savoirs et Compétences – entre 2000 et 2014. Nous avons tenté de faire ressortir les thématiques faisant l'objet des travaux des chercheurs pour voir, d'abord, si une certaine résonnance avec les orientations des différentes politiques était perceptible et, ensuite, si une certaine évolution sur les années couvertes pouvait aussi être décelée. Évidemment, nous sommes conscientes des limites importantes qui découlent de ces choix méthodologiques. En effet, il nous faut souligner que la production scientifique d'une société ne peut pas être résumée par les seuls projets subventionnés par un fonds de soutien public, et ce, dans un seul programme. Cela laisse dans l'ombre un large pan de la recherche produite au Québec pendant ces années et les années précédentes. Néanmoins, nous considérons la démarche pertinente, porteuse de sens et intéressante tant pour l'acteur politique que pour les chercheurs.

À la suite de l'analyse des projets, nous constatons qu'une partie des thématiques soulevées dans les différentes politiques trouvent une certaine résonnance dans la production scientifique en science de l'éducation, d'autres beaucoup moins. Cela nous amène dès le départ à soulever deux questions: celles de la connaissance, par les chercheurs en science de l'éducation, des priorités des différentes politiques gouvernementales, de même que celle de l'influence des évaluateurs-chercheurs des projets soumis aux concours pour l'obtention du financement. En fait, nous posons l'hypothèse que les chercheurs en éducation sont assez peu nombreux à connaître les grandes lignes des politiques québécoises en recherche et innovation. Bien qu'il nous faudrait approfondir cette question, nous postulons en ce sens que l'influence individuelle directe de ces politiques est donc très faible, et ce, quant aux deux rôles que tiennent les chercheurs, au moment de soumettre des demandes de financement, mais aussi lors de l'évaluation par les pairs de ces mêmes demandes. Nous retenons donc que l'acteur gouvernemental ne semble pas être celui qui réussit à imposer une certaine reconnaissance de ses priorités et que ce faible niveau d'interpénétration peut être révélateur de l'état d'équilibre actuel entre liberté académique complète et trop forte régulation gouvernementale.

Avec cette communication, et les questions que nous posons, nous nous inscrivons dans la démarche d'évaluation proposée dans le cadre du colloque. En effet, il s'agir de voir, à petite échelle, les résonnances entre sujets portés par les politiques de la recherche et de l'innovation et les projets financés dans le cadre d'un programme québécois. Mais ces questions nous paraissent pertinentes dans d'autres contextes également. 

 


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