4-7 juil. 2016 Mons (Belgique)

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Pour une formalisation de la pratique de l'éducation spécialisée : une étude des dimensions épistémiques et normatives des pratiques.
Sophie Merlin  1@  
1 : Cerep  (Cerep)
uniersité de Reims Champagne-Ardennes

Au point de départ de la recherche doctorale en cours, sur laquelle s'appuiera notre communication, nous nous interrogions sur le rapport entre théorie et pratique dans la formation des travailleurs sociaux en France. Dans un contexte de redéfinition du champ du travail social et de transformations des formations, nous nous demandions si le travail social pouvait se définir à partir de savoirs spécifiques. Notre interrogation relayant à sa manière les débats nationaux autour des questions sur la reconnaissance du travail social comme discipline universitaire. Parmi les façons possibles d'aborder cette thématique, nous avons choisi de nous centrer sur la pratique d' un des métiers représentatifs de ce champ, l'éducateur spécialisé. Pour cela, nous avons commencé par mener une enquête de terrain exploratoire inductive (trois mois d'immersion dans un Service d'Investigation Éducative) alors que nous étions nous-même à la fois en formation pour obtenir le Diplôme d'État d'Éducateur Spécialisé et en Master recherche. Cette première approche nous a amenés à comprendre le travail social comme métis, c'est-à-dire une pratique d'arbitrage et de décision (AUTES, 1999). La métis est la capacité mentale de l'être humain à mettre en relation des objectifs contradictoires, par l'intermédiaire d'un objet tiers. Ce type d'intelligence, dite stochastique, produit des rapports entre des termes qui jusque-là n'étaient pas en relation (LEBRUN, 2008), de nouveaux savoirs sont alors créés, et de là de nouvelles conditions pour l'action (JULLIEN, 2012). La situation initiale est transformée par la création de nouveaux sens (dimension épistémique) : il devient possible de hiérarchiser autrement les motifs de l'action et d'opérer des choix, de juger (DETIENNE, VERNANT, 1974), c'est la dimension normative entendue comme « tout jugement qui apprécie ou qualifie un fait relativement à une norme, subordonné à celui qui institue les normes » (LEGRAND, 2007, p.80). Ce mode opératoire qui est aussi un type d'intelligence, définit ce qu'est une praxis. Ce premier cadre conceptuel bien que large, nous semble cependant utile pour comprendre et formaliser ce que la pratique de l'éducateur spécialisé aurait de spécifique. Ainsi, le premier effet de l'utilisation de ce cadre est de modifier l'objet de la recherche : il ne s'agit plus de s'intéresser aux savoirs en termes de contenus mais de focaliser notre recherche sur les dimensions épistémiques et normatives de la pratique. Cette approche nous conduit donc à interroger la notion de rapport au(x) savoir(s).La fonction de l'éducateur spécialisé est de fabriquer des rapports sociaux là où ils font défaut et il est porteur des normes sociales . Son faire porte à la fois le procès de normalisation (CANGUILHEM, 1966) des institutions sociales, le procès de subjectivation de l'usager (DUBET, 2002) et son propre rapport à la norme. En cela, il serait un « entrepreneur » de la norme (BECKER, 1985), mais aussi un professionnel dont la fonction traduit le déplacement du concept de norme « du vital au social » (CANGUILHEM, 1966), du médico-légal au socio-politique. Le passage de la norme négative fondée sur le permis et le défendu, qui exclut, à une norme positive qui n'a pas pour fonction de rejeter mais de produire de l'anormal, c'est-à-dire qui est en relation avec la norme. La norme positive est « toujours liée à une technique positive d'intervention et de transformation, à un projet normatif » (FOUCAULT, 1999, p.46).Dans cette perspective, la dimension épistémique de la pratique est ordonnée à la dimension normative de l'intervention de l'éducateur.

Cette approche conceptuelle permet, nous semble-t-il, de donner un « corps » à une pratique qui se définit par la négative (l'entre-deux, la marge de manœuvre, la ruse, le creux, l'implicite voire l'indicible, très présents dans la littérature ).

Nous avons choisi comme terrain de recherche un Service d'Investigation Éducative car ses caractéristiques en font un révélateur de postures professionnelles (BROUTELLE, SALLEE, 2011). Mandaté par un juge pour enfant ou un juge d'instruction, ce service éducatif intervient auprès d'enfants et d'adolescents présumés en danger. Le juge ne disposant pas des informations lui permettant de caractériser le danger, c'-est-à- dire de savoir combien la situation du mineur s'écarte des normes sociales et vitales, il en appelle à des savoirs extérieurs au droit (DUMOULIN, 2000). Il demande à une équipe éducative de procéder à une investigation et de lui adresser un rapport sur la situation ainsi que des préconisations.

Nous procédons à une monographie de ce service. Nous avons mené des observations participantes auprès de l'équipe éducative, et avons conduit 25 entretiens semi-directifs. Nous avons également enregistré des échanges entre professionnels. Nous avons constitué un corpus de dossiers judiciaires contenant les pièces qui provoquent la saisine du juge et les rapports d'investigation. Nous nous proposons dans notre communication de présenter les grilles d'analyse des entretiens et des échanges, ainsi que nos premiers résultats.

Bibliographie :

 

AUTES, M. (1999). Les paradoxes du travail social (2ème édition). Paris, France : Dunod.

 

BECKER, H. S. (1985). Outsiders, études de sociologie de la déviance. Paris, France : A.-M. Métaillé.

BROUTELLE, A.-C., SALLEE, N. (2011). Les mesures d'investigation dans le champ de la justice des minuers française, une expertise sous tension(s). Dans FRANCOIS, A., MASSIN, V., NIGET, D. (dir.), Violences juvéniles sous expertise(s) (214-230). Louvain, Belgique : Presse universitaire de Louvain.

 

 

CANGUILHEM, G. (1966). Le normal et le pathologique. Paris, France : PUF.

 

DETIENNE, M., VERNANT, J.-P., (1974). Les ruses de l'intelligence. La métis des grecs (éd. 2009). Paris, France : Champ Flammarion.

 

DUBET, F. (2002). Le déclin de l'institution. Paris, France : Le Seuil.

 

DUMOULIN, L. (2000). L'expertise judiciaire dans la construction du jugement : de la ressource à la contrainte. Droit et Société (44-45), 199-223.

 

FOUCAULT, M. (1999). Les anormaux, Cours au Collège de France 1975-1976. Paris, France : Seuil-Gallimard.

 

JULLIEN, F. (2012) . L'écart et l'entre. Leçon inaugurale de la chaire sur l'altérité. Paris, France : Galilée

 

LEBRUN, J.-P. (2008). Clinique de l'institution. Paris, France : Erès.

 

LEGRAND, S. (2007). Les normes chez Foucault. Paris, France : PUF.

 


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