4-7 juil. 2016 Mons (Belgique)

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La culture commune, une question de compétences, de savoirs ?
Françoise Lantheaume  1, *@  
1 : Laboratoire Éducation, Cultures, Politiques  (ECP)
Université Lyon 2
Université Lyon 2 -  France
* : Auteur correspondant

Dans une perspective curriculaire prenant en compte ensemble savoirs, compétences et apprentissages des élèves, le processus interrogé est celui qui a conduit à renverser l'ordre de prééminence préexistant entre des logiques auparavant séparées – logique des compétences et logique des savoirs –, puis à les nouer jusqu'à être présentées et conçues par les politiques publiques comme indissociables pour fonder une culture commune.

Après avoir ignoré la question des compétences et estimé que seuls des savoirs partagés pouvaient construire une culture commune, un mouvement international convergent entre organismes internationaux, politiques éducatives et recherche met l'accent sur les compétences, celles-ci organisant des curricula structurés à partir des résultats attendus des apprentissages des élèves (Mangez, 2008).

La traduction nationale française des injonctions européennes à la définition d'un socle commun des compétences, tend à associer logique des compétences et logique des savoirs académiques pour créer la culture commune souhaitée.

Appréhender les savoirs scolaires choisis, organisés, hiérarchisés en curriculum comme des savoirs reformulés et réinterprétés en fonction d'intérêts des groupes d'acteurs et des contraintes de leur action, constitue l'approche privilégiée par la communication. La sociologie du curriculum prenant appui sur la sociologie de la traduction, associée à l'histoire de la construction des curricula, permet une compréhension renouvelée du mouvement décrit plus haut et de ses effets sur les apprentissages des élèves.

En effet, se distinguant d'une approche fonctionnaliste mettant l'accent sur la fonction de la transmission scolaire pour forger une « conscience collective » (Durkheim, 1938) et d'une approche conflictualiste soulignant les implicites de savoirs scolaires destinés à maintenir des structures sociales inégalitaires (Bernstein, 1975), la sociologie de la traduction par l'approche réticulaire qu'elle suppose ainsi que par la mise au jour de phénomènes d'hybridation des savoirs qu'elle rend possible, ouvre à une nouvelle hypothèse.

Ainsi, les résultats de deux enquêtes, l'une sur la définition des programmes d'histoire sur la question coloniale des années 1930 à la fin du XXè siècle, l'autre sur la façon dont les élèves, actuellement, racontent l'histoire de France (plus de 5000 récits recueillis), conduisent à formuler l'hypothèse selon laquelle la description et l'analyse de l'évolution des réseaux (leur configuration, leur dynamique) contribuant à la définition du curriculum et à l'apprentissage par les élèves permettraient de comprendre l'émergence puis la prédominance du mouvement privilégiant les compétences puis associant logique des compétences et des savoirs pour fonder la culture commune ainsi que les limites de ce processus. Ils conduisent à relativiser le poids des intentions et injonctions politiques au profit d'une vision moins « top down », moins institutionnalisée et plus large de ce qui constitue les apprentissages des élèves se construisant aussi bien suivant des modalités non scolaires que par une exposition continue à des savoirs académiques scolarisés et à l'apprentissage de compétences.

Cette approche permet aussi d'interroger la pertinence de la focale mise tant par la recherche que par les politiques publiques sur les compétences pour constituer une culture commune conçue comme le ciment du « vivre ensemble » dans des sociétés plurielles. L'étude sous le seul angle des compétences et des savoirs académiques des productions des élèves, est en effet insuffisante pour comprendre le sens de leurs productions écrites. Le rôle de la transmission informelle tant familiale que sociétale d'une matrice interprétative de l'expérience historique collective accumulée, semble une dimension clé pour la compréhension des écrits des élèves.

Les éléments structurant, socialement partagés, de cette matrice interprétative sont des outils de réinterprétation des curricula et de leurs composantes (compétences, savoirs) par les acteurs de l'éducation. Les ignorer – au nom des compétences ou des savoirs académiques – peut entraver la compréhension des conditions de création d'une culture commune et l'action contre des sources de l'échec scolaire.

D'autres types de contenus d'enseignement étudiés sous un angle d'approche voisin pourraient confirmer la dimension heuristique de cette proposition. Certains travaux ont déjà souligné le rôle fondamental des ressources mobilisées par les groupes d'acteurs en compétition pour la définition de programmes d'enseignement en mathématiques (Cooper, 1997).

 Références bibliographiques

Cooper, B. (1997). Comment expliquer les transformations dans les matières scolaires. In J.C. Forquin, Les sociologues de l'éducation américains et britanniques. Présentation et choix de textes (pp. 202-224). Paris-Bruxelles : De Boeck-Université.

Durkheim, E. (1938). L'évolution pédagogique en France. Paris : Alcan (rééd. 1969, P.U.F).

Bernstein, B. (1975). Langage et classes sociales. Codes socio-linguistiques et contrôle social. Paris: Éditions de Minuit.

Mangez, E. (2008). Réformer les contenus d'enseignement. Une sociologie du curriculum. Paris : PUF.


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