Outils de recherche > Chercher une contribution par auteur > Brumaud Florence

Cette communication interroge les formes, historique et sociale, de construction du handicap psychique. Officialisée par la loi de 2005, cette notion n'a en effet rien de « naturel ». Elle laisse penser que l'origine des troubles des individus est immanente, à l'individu ou à sa famille, laissant de côté la dimension sociale des troubles individuels. Partant du postulat théorique qu'individu et société ne fonctionnent qu'ensemble, ce travail examine la relation nécessaire entre la catégorie d'individus définis comme handicapés psychiques et la société dans laquelle ce groupe apparaît. Il s'agit de comprendre la construction de cette catégorie comme un processus historique particulier, car comme le propose Bourdieu, « pour ne pas être l'objet des problèmes que l'on prend pour objet il faut faire l'histoire sociale de l'émergence de ces problèmes, de leur constitution progressive, c'est-à-dire du travail collectif – souvent accompli dans la concurrence et la lutte – qui a été nécessaire pour faire connaitre et reconnaitre ces problèmes comme légitimes » (Bourdieu, 1992, 210).

Cette communication s'inscrit dans le cadre plus large d'un travail de thèse. En proposant de mettre en lumière le long processus historique conduisant à la légitimation de la catégorie handicap psychique en 2005, ce travail de recherche interroge un problème sociétal que représente la catégorisation d'une partie de la population. C'est précisément à cet endroit que l'intérêt scientifique rejoint l'intérêt social de cette recherche : sortir l'objet handicap psychique de sa représentation individuelle pour le placer dans sa dimension sociale permet aux acteurs dominés de trouver un espace de représentation.

Elle s'appuie sur les discours des directeurs (actuels) et des pères fondateurs des associations gestionnaires d'Instituts Thérapeutique, Educatif et Pédagogique (ITEP) de la Gironde, afin de mettre à jour des procédures en actes in situ et in vivo (Garfinkel, 1967). Par pères fondateurs nous entendons soit son véritable fondateur, soit des directeurs associatifs qui ont traversé 40 ou 50 ans de l'histoire associative. La « petite histoire » des associations croise « la grande histoire » de l'éducation spécialisée et l'éclaire. Autrement dit, l'histoire ainsi rapportée ouvre la voie de la compréhension de la construction de la catégorie handicapé psychique plus sûrement que si nous n'avions étudié que les dispositifs successifs en charge de gérer le handicap.

Cinq associations sont étudiées : une petite association (sans structure professionnelle) et quatre « grosses » associations se partageant le secteur de l'éducation spécialisée sur la Gironde. Les entretiens ont révélé la nécessité d'enrichir notre étude de trois entretiens complémentaires : l'Agence Régionale de Santé (ARS), la Caisse Nationale de Solidarité pour l'Autonomie (CNSA) et l'Association des ITEP et leurs Réseaux (AIRe), directeurs et pères fondateurs nous désignant ces échelons comme incontournables. Ces entretiens d'une durée moyenne d'une heure trente ont été effectués entre décembre 2013 et septembre 2014. Une première phase d'analyse thématique (entretien par entretien) a révélé tous les sujets abordés par les enquêtés, permettant de regrouper ces thèmes par catégories. À partir de ces catégories sont apparus les grands domaines pertinents à mettre en relation pour proposer un diagnostic historique (Berlan 2012). Les 13 entretiens articulent : l'histoire des associations, le contexte idéologique et législatif régissant le secteur de l'éducation spécialisée, le développement de la psychologie comme outils pertinent de la compréhension et du traitement des difficultés des individus, la professionnalisation progressive du secteur de l'éducation spécialisée.

Notre étude, qui s'étend de la fin des années 45 à nos jours, distingue trois périodes successives :

- La première (1945–1975) se résume en trois termes : volontarisme, créativité, abondance. En effet, dans un monde en pleine reconstruction, reconnaissant sa part de responsabilité dans l'impossibilité de faire une place pour tous, il s'agit de rendre actif le principe d'égalité des chances. Dynamisme et créativité sont possibles en période d'abondance économique. Pourtant si les problèmes sont énoncés comme sociaux, ils sont déjà traités comme la somme de difficultés individuelles (sous l'effet des orientations cliniques et thérapeutiques).

- La deuxième (fin des années 70–début des années 2000) est une phase de structuration et d'institutionnalisation. Les institutions se pérennisent autour de formes associatives plus organisées. Il s'agit d'une recherche à tous les niveaux (associatif, législatif, économique) d'une définition plus précise du public pris en charge dans les Instituts de Rééducation (IR, ancêtres des ITEP). Ce public résiste aux procédures de labelling (Becker, 1985) et sous l'effet d'une première phase de rationalisation de l'argent public, l'inadaptation n'est plus comprise comme une relation entre individu et société mais comme immanente aux seuls individus.

- La troisième (depuis les lois de 2005) se caractérise par la fluidité, le mouvement et l'innovation. Le secteur de l'éducation spécialisée se met en mouvement autour des questions de l'innovation et de la fluidité : au niveau des politiques publiques, des modes de prises en charge, dans les jeux de pouvoirs inter et intra associatifs.

Au-delà du diagnostic historique, cette communication met à jour un débat sensible autour de la relation entre précarité sociale et économique et handicap psychique telle que les directeurs et pères fondateurs l'ont fait apparaître, ainsi que la difficulté à penser la nature de ce lien.

BELIARD A., EIDELIMAN J.S. (2009), « Aux frontières du handicap psychique : genèse et usages des catégories médico-administratives », Revue française des affaires sociales, n° 1-2, p99-117.

BECKER H.S. (2006 [1985]), Outsiders, Etudes de sociologie de la déviance, Editions Métailié, 247p.

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BOURDIEU P. (1980a), Le sens pratique, Les éditions de minuit, Collection le Sens commun, 474p.

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